La Géométrie des miracles : La quadrature du cercle
Scène

La Géométrie des miracles : La quadrature du cercle

«Une idée est ce qui se rapproche le plus de Dieu», dit Frank Lloyd Wright dans La Géométrie des miracles. Et il y en a plusieurs bonnes petites dans le spectacle de Robert  Lepage.

«Une idée est ce qui se rapproche le plus de Dieu», dit Frank Lloyd Wright dans La Géométrie des miracles. Et il y en a plusieurs bonnes petites dans le spectacle de Robert Lepage, lequel, autrement, nous laisse un peu sur notre appétit. Traitant, en parallèle et en contrastes, de deux personnalités fascinantes du siècle, l’architecte américain Wright et le gourou spirituel Gurdjieff, la production d’Ex Machina n’est jamais inintéressante, parfois même éclairante; mais, dans l’ensemble, elle reste en-deçà de la profondeur à laquelle on pouvait s’attendre.
À travers ces deux maîtres (l’un commandant à la matière, l’autre cherchant à réveiller la conscience), La Géométrie des miracles explore aussi beaucoup les contradictions du travail de groupe: où commencent la tyrannie, le mimétisme servile, la secte, à la limite?… En peaufinage depuis deux ans, ce spectacle à la fois beau, impressionnant, didactique et mécanique expose les grandeurs et les limites de la manière Lepage, qui s’abreuve elle aussi aux efforts collectifs.
Un peu comme dans cette scène emblématique où les apprentis de Wright (Tony Guilfoyle) dévoilent au pdg de Johnson Wax la maquette de son futur immeuble; illustrant les colonnes avec des verres, on retrouve la façon d’intégrer les objets, la brillante concision du doué metteur en scène. Son grand sens de la litote (on utilise une maison de poupée, une automobile jouet pour évoquer, à une échelle réduite, ces constructions humaines) et de la métaphore scéniques, qui côtoie aussi parfois un humour immature, aux accents parodiques (les caricatures du businessman américain et de sa secrétaire masculine), et s’accompagne d’une certaine tendance à réduire les grandes idées à des traits d’ingéniosité.
D’où l’impression, parfois, de rester en marge de la pensée des deux personnages, de l’importance de leur rencontre, ou alors de tomber carrément dans l’anecdotique (surtout dans les scènes concernant les disciples de Wright).
À l’inverse, ce show constuit à partir de figures géométriques, marqué par l’antinomie (dieu-diable, spiritualité-matérialisme, collectivisme-individualisme…), rythmé par les chorégraphies de Gurdjieff, semble souvent obéir à cette rigidité schématique, d’où le facteur humain est exclu. Dans La Géométrie…, ce sont surtout les formes – dessinées par les corps, les chorégraphies, les objets – qui parlent bellement.
Il faut savoir que ce n’est pas là un théâtre d’émotions: les personnages sont presque confinés à des esquisses, des éléments du système théâtral; Wright, lui-même, ressemble à une créature monolithique dont on retient surtout la morgue et l’accent traînant du Midwest… (Et ce, même si Rodrigue Proteau donne une performance convaincante dans la peau du charismatique Gurdjieff, et de son curieux alter ego, un diablotin bourru, marmonneur, à la démarche de bouc…) Un théâtre où, paradoxalement, les éléments les plus traditionnels de la réprésentation (la dramatisation, les dialogues, le jeu) semblent les moins fouillés.
Illustration spectaculaire du parcours d’un artiste majeur dans le paysage occidental, La Géométrie des miracles manque un peu de cette chose que Gurdjieff cherchait: l’âme.
Jusqu’au 1er avril
À l’Usine C
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