Te souvient-il : Union libre
Scène

Te souvient-il : Union libre

Louise Bédard et Sylvain Émard livrent, au Théâtre La Chapelle, un duo exigeant et unique, à l’opposé des effets tape-à-l’oeil.

La sobriété n’a pas la cote en danse. Des compagnies comme H Art Chaos remplissent d’importantes salles grâce à leurs prouesses techniques et physiques alors que d’autres, moins spectaculaires, n’attirent qu’une poignée de fidèles. Or, d’un point de vue chorégraphique, c’est davantage avec la deuxième catégorie qu’on risque le plus d’élargir nos horizons. Louise Bédard et Sylvain Émard en font partie. Ils livrent, au Théâtre La Chapelle, un duo exigeant et unique, à l’opposé des effets tape-à-l’oeil. Succès d’estime.
Rarement voit-on des artistes de la danse de cette envergure partager une même scène. Le travail de Sylvain Émard se résume à une écriture chorégraphique intellectuelle, complexe et sombre, qui exige de la virtuosité. Ses oeuvres les plus connues restent Terrains Vagues et Rumeurs. Louise Bédard foule le même sentier avec, pour différence, un regard porté sur le théâtre. Voilà quelques années, elle a emportée le prestigieux prix Jean A. Chalmers pour Cartes postales de Chimère et Dans les fougères foulées du regard. Leur union a donc de quoi chatouiller notre curiosité.
Rien n’est superficiel dans cette chorégraphie tricotée serré. Les chorégraphes-danseurs ont consacré huit mois à sa création, et ça se voit. Pendant une heure, leurs mouvements nous étonnent, nous interrogent, nous font rire et nous touchent. Mais, surtout, leur danse dégage un parfum de nostalgie mêlé d’étrangeté. Leurs étreintes parfois poignantes, parfois coquines; ou encore leurs regards mélancoliques évoquent souvent le monde de l’enfance. La musique nuancée deMichel F. Côté renforce ce sentiment d’ennui d’une époque révolue.
Les quelque vingt ans de carrière de ces artistes transparaissent dans chacun de leurs mouvements. Louise Bédard se déplace avec agilité et charisme. Rarement voit-on une danseuse aussi inspirée. La présence de son partenaire se révèle plus discrète. C’est souvent par le biais de son regard ou de ses expressions que découle le caractère singulier u enfantin de la pièce.
Difficile de déterminer la touche de chacun tant leur gestuelle coule de source. À l’occasion, on décèle une caractéristique de la danse de Sylvain Émard, comme ce face-à-face avec le public, pieds écartés et visage tourné vers le ciel. Cependant, la signature de Louise Bédard s’impose plus régulièrement par de courts mouvements rapides qui se brisent au dernier moment.
Décors et danse se marient parfaitement. L’artiste peintre Pierre Bruneau a conçu des panneaux composés d’un pigment phosphorescent. La particularité de ce pigment, c’est de faire apparaître l’ombre des danseurs. L’effet, utilisé avec parcimonie, marque les traces du temps. En fait, la beauté de la scénographie provient du jeu de lumières. Marc Parent a créé des éclairages pastel qui rendent grâce à la chorégraphie.
Cela dit, Te souvient-il? reste une oeuvre exigeante destinée à un public averti. Parfois, on a l’impression d’assister à un exercice d’expérimentation. Notre plaisir varie selon notre degré de concentration et notre ouverture d’esprit. Le soir de la première, le public était attentif. Et peu importe l’endroit où l’on est assis, on a l’impression que le duo danse rien que pour soi, ce qui est déjà un beau cadeau.

Jusqu’au 1er avril
Au Théâtre La Chapelle
Voir calendrier Danse