Michel Nadeau : Les mains d'Edwige au moment de la naissance
Scène

Michel Nadeau : Les mains d’Edwige au moment de la naissance

Dans Les Mains d’Edwige au moment de la naissance, les mots prennent le pouvoir: pour convaincre, pour dire non, pour raconter, pour apaiser.

Lorsque commence la pièce mise en scène par Michel Nadeau, le spectateur est saisi par le tourbillon du verbe. Le souffle de la parole roule, se gonfle; soudain murmure, s’enroue. Parfois presque étourdissant, le texte de Wajdi Mouawa dépayse à coup sûr: par ses images, son rythme syncopé, sa rapidité. Dans Les Mains d’Edwige au moment de la naissance, les mots prennent le pouvoir: pour convaincre, pour dire non, pour raconter, pour apaiser.
Edwige n’a que la parole pour refuser de participer à une cérémonie hypocrite, organisée par sa famille dans le seul but de tirer profit de son don: de ses mains coule une eau pure lorsqu’elle prie. Ses parents et son frère ont préparé des funérailles pour Esther, sa soeur disparue depuis 10 ans, qui reviendra justement ce soir-là, sur le point d’accoucher.
L’ensemble se déroule dans une cave sombre, encombrée d’objets, dont le plafond surplombe scène et public (scénographie de Marie-Claude Pelletier); c’est là qu’Edwige se réfugie. La scène est plongée dans une semi-obscurité dont Denis Guérette, concepteur des éclairages, tire des images superbes en sculptant l’ombre de faisceaux de lumière: douche de lumière blanche lorsque Edwige prie, portrait, comme un tableau en clair-obscur, des deux soeurs, raies de lumière rouge et doré pour l’image finale.
Évelyne Rompré joue en nuances une Edwige idéaliste et rebelle, parfois déroutée. L’accompagnent Vincent Champoux et Pierre-François Legendre, Marie-Josée Bastien, incarnant Esther, et Jack Robitaille, très juste dans le rôle du père tiraillé entre culpabilité et amour pour Edwige. La comédienne Véronique Aubut, bouleversante, est sublime de retenue dans le rôle de la mère burinée par 10 ans de vie en dépit de l’absence de sa fille: «Dix ans déjà que je ne respire plus parce que j’entends s’ouvrir une porte; parce que je crois reconnaître un bruit de pas. Tu ne sais pas ce que c’est, Edwige, que de se retenir pour ne pas s’effondrer quand déjà ons’est effondré.» (p.49).
À la fin de la nuit, l’espoir éclaire ce monde sordide: un enfant naît qui, aux dires d’Edwige, fait momentanément oublier «toutes les horreurs du siècle». L’image de la naissance comme symbole d’espoir, pour peu nouvelle qu’elle soit, émeut. Si cette conclusion apparaît toutefois trop simple pour être convaincante, la valeur de la pièce réside surtout dans la détermination d’Edwige qui tient tête à tous. Sa conviction très pure est peut-être un peu naïve – rappelons qu’Edwige a 15 ans – mais elle symbolise au moins la résistance, seule possibilité de salut dans un monde où sévissent, entre autres maux, la violence et ce qu’Albert Jacquard nomme «l’intégrisme économique».

Jusqu’au 15 avril
Au Théâtre Périscope