Scène

Ceci n’est pas un road movie : Chemin de traverse

Création conjointe du Théâtre du Grand Jour et des productions Point Com., Ceci n’est pas un road-movie cible «la culture des jeunes de la rue». L’auteur et metteur en scène, le comédien Christian Brisson Dargis, entend donner une «voix théâtrale à un groupe social qui n’en a pas», et dit avoir voulu faire plaisir à «tous ceux qui se fichent de Molière, de Corneille».

Pour un dépaysement, c’est un dépaysement. Ceci n’est pas un road-movie nous entraîne loin des théâtres bon chic bon genre pour nous catapulter dans un sombre centre communautaire punk, à L’X, rue Sainte-Catherine. Louable effort de sortir des ornières théâtrales, et d’atteindre un autre public. Même si pour l’instant, s’il faut en juger par la représentation à laquelle j’ai assisté, celui-ci a plus l’air échappé de la banlieue que de la rue…
Création conjointe du Théâtre du Grand Jour (dont c’est le second show, après Autodafé) et des productions Point Com., Ceci n’est pas un road-movie cible précisément «la culture des jeunes de la rue». L’auteur et metteur en scène, le comédien Christian Brisson Dargis, entend donner une «voix théâtrale à un groupe social qui n’en a pas», et dit avoir voulu faire plaisir à «tous ceux qui se fichent de Molière, de Corneille». En effet…
Mais encore? Cinq squeegees rencontrent un homme d’affaires forcément machiavélique (Dominick Thurber, une grosse caricature avec son foulard fauve et ses manières de folle). Celui-ci les enrôle dans un projet de reality show qui ressemble à un croisement entre Pignon sur rue et La Course Destination monde, à la sauce underground: ils devront sillonner l’Amérique à bord d’une «punkmobile», direction Las Vegas (!), sous l’oeil vigilant de caméras. Le producteur Malcolm McDonald se chargera du montage et de la diffusion de leurs aventures sur Internet. Nos héros de l’underground vendraient-ils leur âme au diable?
En chemin, le quintette réalisera bien sûr que ses espoirs sont trahis: ils sont manipulés (le vilain businessman récupère leurs images pour en faire de la pub), et en viennent à perdre tout leur naturel devant les caméras. Nos laveurs de parebrises vivront aussi des situations qui pourraient coller à n’importe quel groupe coincé ensemble pendant longtemps: désir, jalousie, incapacité de communiquer ses sentiments, tensions… Et ce trip, qui s’achève bien bizarrement – et sur un mode grotesque – dans ledésert, semble surtout avoir été conçu pour se débarrasser de ces indésirables.
Cette grosse fable sur la culture du voyeurisme, l’utilisation de la souffrance, la récupération de l’underground par la société de consommation et la «déportation des squeegees» manque visiblement de maturité: elle émousse le pamphlet, si pamphlet il y avait, dans la parodie, et ne dépasse guère le stade de la révolte ado. Et elle s’étire en longueur: l’auteur aurait pu aisément sortir les ciseaux. La mise en scène n’est pas plus sophistiquée. Dans cette production manifestement fauchée et broche-à-foin, Big Brother est évoqué de façon rudimentaire par cinq écrans de télévision; les différents lieux sont suggérés par de maigres images.
Que reste-t-il alors, outre une volonté sincère, mais maladroite, de dire des choses? Un humour certain, quoique pas subtil, qui vise aussi bien les gros symboles (taisons le sort réservé à Mickey Mouse…) que les protagonistes eux-mêmes. La bonne volonté des interprètes (Jean-Sébastien Poirier, Isabelle Roy, Jean-François Poirier, Sébastien Rajotte et, surtout, Julie Rivard, intense en «sorcière»). Des personnages qui finissent par s’imposer à nous, et qui, de parfaits archétypes qu’ils semblaient au départ (le révolté, la bitch, la nounoune, le naïf…), acquièrent en chemin un peu de complexité dans leur détresse. __

Jusqu’au 15 avril
À L’X
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