La Cerisaie : Le jardin suspendu
Scène

La Cerisaie : Le jardin suspendu

La Cerisaie est probablement l’oeuvre la plus nostalgique au monde. Point d’orgue et chant du cygne de Tchekhov, cette magnifique pièce déroule une méditation en quatre actes sur ce qui n’est plus, sur ce qui est sur le point de disparaître.

«Voilà que la vie est passée… on dirait que je n’ai pas encore vécu.» La Cerisaie est probablement l’oeuvre la plus nostalgique au monde. Point d’orgue et chant du cygne de Tchekhov, cette magnifique pièce déroule une méditation en quatre actes sur ce qui n’est plus, sur ce qui est sur le point de disparaître. La cerisaie dont la famille redoute tant la vente apparaît comme la métaphore de cette constante liquidation dont est faite la vie elle-même.
Parenthèse entre un retour temporaire et des adieux définitifs, qui débute dans une ancienne chambre d’enfant et se termine dans une pièce presque vide, antichambre de la mort, La Cerisaie pousse jusqu’à son extrémité l’absence d’action et d’intrigue qui caractérise le théâtre du grand auteur russe. «Éternellement, on parlera de l’avenir sans y croire, après avoir pleuré sur le passé», écrit Roger Grenier dans son superbe Regardez la neige qui tombe (livre auquel le rédacteur du texte sur Tchekhov, dans le programme du TNM, aurait eu avantage à rendre son dû…). Tableau d’une humanité désillusionnée, rires et larmes confondus, passant d’un personnage à l’autre avec une grande fluidité.
Belle et imparfaite production du chef-d’oeuvre, le spectacle du Théâtre de l’Opsis et du TNM est marqué – outre par certaines audaces sexuelles – par quelques images inoubliables, dont celles qui ouvrent et ferment la pièce, et l’arrivée, en groupe sur une plate-forme, de Lioubov et de sa suite.
Dans ce spectacle qui évoque irrésistiblement sa mise en scène des Estivants, de Gorki, on reconnaît sans peine le style Serge Denoncourt. Pour le meilleur et pour le un peu moins bien: une sorte de lyrisme, le «nappage» parfois abusif de la musique, une insistance à appuyer certaines émotions, son talent pour faire vivre plusieurs personnages à la fois, ce mélange de mélancolie et de légèreté souriante, et un mouvement emporté.
En porte-à-faux, peut-être, par rapport à la tradition, La Cerisaie est un spectacle mené par l’exubérance, où l’on s’appesantit arement (chez Tchekhov, les bouffonneries succèdent aux aveux de tristesse) et où l’on court beaucoup, et parfois gratuitement. Une valse emportée où le temps suspend son vol brusquement, pour voir une toupie tourner, ou un ange passer. Denoncourt a placé cette pièce sur la perte et sur l’enfance enfuie sous l’ombre du petit garçon mort de Lioubov. Une manifestation tangible de la mort et du passé, qui revient un peu trop souvent…
Tchekhov, c’est l’incarnation de la démocratie théâtrale. La Cerisaie s’achève sur les derniers mots d’un vieux valet (émouvant Benoît Girard), laissé derrière. Mais le bon médecin des âmes, lui, n’oublie personne: de la femme de chambre enamourée (Anne-Catherine Lebeau) au commis ridicule (Antoine Durand), il fait vivre plus d’une douzaine de personnages, et chacun a droit à son instant d’éclairage.
Le spectacle impose pareillement un mouvement d’ensemble, où chaque interprète, drapé dans les costumes si éloquents, à la fois homogènes et distinctifs, de Luc J. Béland, paraît mis en valeur. De Monique Miller, pleine d’aisance mais un peu théâtrale en Lioubov, à l’émouvante Annick Bergeron, en passant par Germain Houde et le sobre Jean-François Casabonne. Une bonne distribution mais qui offre peu de surprises, la plupart des comédiens de la «famille Denoncourt» semblant prolonger des personnages joués ailleurs.
À l’exception peut-être de Jacques Godin, poignant en vieil oncle puéril aux discours solennels. Le personnage tchekhovien par excellence, celui qui passe à côté de sa vie, et dont le risible pathétisme fait sourire et étreint le coeur dans un même mouvement. ____
Jusqu’au 23 avril
Au Théâtre du Nouveau Monde
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