Sophie Lorain : La quadrature du couple
Scène

Sophie Lorain : La quadrature du couple

Sophie Lorain signe sa première mise en scène avec Jack et Jill. Une pièce à deux personnages défendues par Isabel Richer et Pierre Gendron. Une histoire d’amour belle, cruelle et  universelle.

Cette chose plus compliquée et plus confondante que l’harmonie des sphères: un couple.
Julien Gracq

Le r0mancier Julien Gracq a résumé par cette très belle formule, dans Le Beau Ténébreux, l’éternelle énigme de la vie à deux. Pourquoi un couple fonctionne et l’autre pas? Pourquoi, malgré les inévitables complications, les êtres persistent-ils à vouloir trouver l’âme soeur? Et pourquoi, quand ils se retrouvent seuls, le coeur en miettes, les hommes et les femmes s’acharnent-ils à chercher quelqu’un d’autre?
«Parce qu’il faut garder espoir, soutient la comédienne Sophie Lorain. Combien de fois on se retrouve en train de faire ses boîtes en pleurant et en se disant plus jamais! Puis, une fois qu’on a déménagé pour repartir à zéro, on recommence avec un autre…»
Roméo et Juliette, Rodrigue et Chimène, Stanley et Stella, Hosanna et Cuirette, … Le théâtre de toutes les modes et de toutes les époques a donné vie à son lot de couples célèbres. Mais Sophie Lorain a eu un coup de coeur pour un couple américain peu connu. Des professionnels dans la trentaine qui ont tout pour être heureux mais qui sont des handicapés du coeur: Jack et Jill, les protagonistes de la pièce du même nom écrite par l’auteure américaine Jane Martin. Isabel Richer et Pierre Gendron incarneront ces deux écorchés de l’amour. Ce dernier produit et signe aussi la traduction de Jack et Jill qui prendra l’affiche du Théâtre de La Licorne, à partir du 4 mai.
Le communiqué de presse qualifie le spectacle «d’anthologie de la vie de couple» de cette fin de siècle. En quoi est-ce si représentatif de notre époque sentimentalement opaque? «C’est l’individualisme à son meilleur, estime Sophie Lorain, qui signe ici sa première mise en scène. Tout ce qu’ils disent, c’est beaucoup je, me, moi. C’est normal, en amour, on se fait tous son cinéma. L’important, c’est de trouver un équilibre entre l’égoïsme et l’abandon total…»
Cela aurait pu n’être qu’une histoire d’un soir. Mais, attirés l’un vers l’autre, Jack et Jill vont tenter de s’pprivoiser durant trois longues années. «L’idée de base, c’est qu’ils s’aiment. Mais la prémisse de leur amour n’est pas bonne… Ils ne se connaissent pas vraiment, mais je pense qu’ils s’aiment. Au début, Jack est prêt à tout pour se faire une blonde. De son côté, Jane est extrêmement cynique face aux relations amoureuses et aux hommes en général. Ils vont finalement se fréquenter pendant trois ans; avec des hauts et des bas, des séparations et des retrouvailles, de la passion et des désillusions. Mais leur relation va les transformer à jamais. Chacun, à sa façon, ils vont évoluer là-dedans. Et, à la fin, les deux amants seront peut-être capables de se rencontrer vraiment…»

Les mots pour le dire
Puisqu’elle est la fille de Denise Filiatrault et qu’elle est une vedette du petit écran qui en dirige une autre (Isabel Richer), on pourrait annoncer Jack et Jill comme l’événement théâtral du printemps. Pas si vite! Car Sophie Lorain ne veut pas que Jack et Jill prenne des proportions démesurées: «C’est très facile de créer un tourbillon médiatique. Or, je n’ai pas la prétention de faire une grande mise en scène. Pour moi, c’est une proposition théâtrale d’une équipe de créateurs et de concepteurs qui se produit dans une petite salle de la rue Papineau. Je ne suis pas en train de signer un Shakespeare au TNM, ou une comédie pour le Festival Juste pour rire. Je monte un show à deux acteurs sans costumes ni décors, avec peu d’argent.»
«De toute façon, poursuit Sophie Lorain, l’essentiel est dans le texte de Jane Martin. Les situations sont assez fortes, je n’ai pas a accentuer quoi que ce soit. Pour moi, c’est un exercice dramatique: je n’ai pas d’autres ambitions que celle de diriger un bon show d’acteurs. Il y a aussi un côté très cinématographique dans Jack et Jill. Dans le rythme, les séquences, les multiples lieux (22), les répliques très spontanées, hachurées. C’est aussi une thématique ouverte. Tout le monde peut se reconnaître dans cette histoire d’amour: les gays, les hétéros, les lesbiennes, mêe des colocataires!»
C’est la première fois que Sophie Lorain travaille avec Isabel Richer et Pierre Gendron. L’idée de réunir ces deux comédiennes autour d’un même projet est d’ailleurs de Gendron. Avec Jack et Jill, pour la première fois de sa jeune et fructueuse carrière, Sophie Lorain a l’impression de faire partie d’une famille artistique: «J’ai étudié à Londres, au Weber-Douglas Academy of Dramatic Arts… Et quand je suis revenue au Québec, je ne faisais pas partie d’aucune gang. Ni à la télévison ni au théâtre. Je n’ai aucun plan de carrière. Je ne pense jamais à ça. Je me cherche encore, donc je ne peux pas avoir de plan ou de stratégie. C’est ce qui me permet d’être libre et de faire les projets qui me plaisent vraiment. Le seul plan de carrière que j’aie, c’est la volonté de ne pas m’ennuyer dans mon travail.»
La metteure en scène ne connaît pas l’auteure de Jack et Jill. Elle avance même que sa véritable identité est incertaine: Jane Martin pourrait être le prête-nom d’un homme, un directeur artistique d’un théâtre américain au Kentucky. Sophie Lorain n’arrive pas à trancher à savoir si c’est une vision féminine ou masculine qui ressort de Jack et Jill: «Ce que j’aime de cette pièce-là, c’est qu’il n’y a pas de morale, ni de réponses toutes faites. Par moments, je juge Jill, je la trouve «bitch» et cynique. À d’autres moments, je change mon capot de bord, et c’est Jack qui me semble très macho et contrôlant. Ce n’est ni blanc ni noir cette pièce-là.»
Comme dans le vie de couple, finalement… y

Du 4 au 20 mai
À La Licorne