Exils : Gens du pays
Scène

Exils : Gens du pays

Spectacle tricéphale sur la gémellité, signé par un trio issu de diverses communautés francophones (le Québécois d’ascendance espagnole Philippe Soldevila, l’Ontarois Robert Bellefeuille et l’Acadienne Marcia Babineau), Exils est un show pluriel, sympathique et divertissant.

Au Québec, l’identité est l’objet d’un incessant psychodrame national – qui tourne souvent, il faut bien le dire, au vaudeville grotesque. Et la quête existentielle est le fond de commerce de bien des démarches artistiques, depuis les années 60. La pièce Exils, qui a roulé pas mal sa bosse depuis sa création à Moncton, il y a un an, prend plutôt le parti de rigoler un brin de ces thèmes qui divisent les populations.
Spectacle tricéphale sur la gémellité, signé par un trio issu de diverses communautés francophones (le Québécois d’ascendance espagnole Philippe Soldevila, l’Ontarois Robert Bellefeuille et l’Acadienne Marcia Babineau), Exils est d’emblée un show pluriel. Du mysticisme amérindien à la question pointue des langues francophones, en passant par le secret des origines, il dresse un catalogue humoristique des particularismes régionaux, des questions existentielles et des clichés sociolinguistiques de la mosaïque franco. À l’arrivée: un spectacle sympathique et divertissant qui, à force de multiplier les angles d’approche, ne fouille pas très loin son sujet.
Au premier niveau, Exils raconte les quêtes parallèles de jumelles identiques séparées à la naissance (oui, comme dans les films La Double Vie de Véronique et Mon XXe siècle). On les verra se frôler, puis finalement être réunies par les détours du hasard. L’une, animatrice à Radio-Canada, bien au fait de sa condition d’enfant adoptée, interviewe différents personnages pittoresques autour de questions d’identité ou de racines. L’autre, choquée d’apprendre son origine à la mort de son père hispano-québécois, part à la recherche de sa mère biologique, se heurtant aux méandres absurdes de la bureaucratie.
Avec ses errances, ses destins croisés, cette histoire aurait pu aisément être écrite par Robert Lepage. On reconnaît aussi sa signature scénique – la mise en scène est orchestrée par Soldevila, ex-assistant du créateur de La Trilogie des dragons – dans cette déconstruction temporelle, ce rythme rapide, l’utilisaton assez ingénieuse d’un espace souple – les portes d’un train, symbole déclinant de l’unité canadienne…
Et Exils reproduit les qualités et les défauts de ce traitement éclaté: le dynamisme de la forme, composée d’une succession de brèves scènes, s’accompagne en contrepartie d’une tendance à voler en rase-mottes au-dessus de ce vaste sujet, sacrifiant la profondeur à l’efficacité. On dirait parfois une enfilade de sketchs. Et certaines interviews offrent un caractère presque pédagogique, traitant le thème identitaire trop au premier degré. Disons que c’est l’équivalent théâtral d’un voyage transcanadien, au cours duquel on ne quitterait jamais le train: on aurait aperçu beaucoup de paysages, se serait arrêté à plusieurs stations, mais on n’aurait rien vécu…
Pas très forte dramatiquement, avec ses métaphores transparentes, la trame émotive convainc moins que la veine parodique, qui offre quelques scènes irrésistibles.
De même, si les jumelles Annie et France LaRochelle s’acquittent honorablement de leurs rôles, ce sont les personnages de composition qui volent la vedette. La caricature de Française qui se veut cool et la bureaucrate irascible campées par Ginette Chevalier. Et surtout, le savoureux capitaliste adorateur de la Bourse, incarné par le très drôle Robert Bellefeuille. Ce Franco-Ontarien/ Ontarois au franc-parler se permet de réjouissants élans d’impertinence (le Canada, et son «peuple de paranos») et témoigne le mieux des dérives ridicules que ces questions majeures prennent parfois dans nos vies. Un peu d’autodérision n’a jamais fait de tort à personne. y

Jusqu’au 6 mai
Au Théâtre d’Aujourd’hui

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