Le Coeur de Mattingly : Battre la chamade
Scène

Le Coeur de Mattingly : Battre la chamade

Avec Le Coeur de Mattingly, «l’artiste total» Rober Racine ajoute une nouvelle corde à son arc.

Avec Le Coeur de Mattingly, «l_’artiste total» _Rober Racine ajoute une nouvelle corde à son arc. Son imaginatif premier texte dramatique est d’une grande musicalité, bien que, lors de la première, les interprètes n’aient pas été à la hauteur de cette exigeante partition. Nervosité, manque de préparation ou mauvais casting? Rappelons que Rober Racine avait écrit cette fable lyrique très dense pour deux comédiens, Izabelle Moreau et Ronald Houle, mais ce dernier a dû être remplacé in extremis par Claude Gai, ce qui pourrait expliquer le manque d’aisance du comédien.
Le duel verbal entre le riche collectionneur Oxymoron et sa nouvelle acquisition, Gabriella, se déroule sur l’île des Pistes Bleues, dans le Pacifique. La jeune femme s’est fait greffer un coeur qu’Oxymoron dit être celui d’un meurtrier, mais qui est en fait celui d’un astronaute. Réunis pour observer une éclipse, la belle et le collectionneur d’êtres humains – il a acheté un gardien de musée et tous les cadavres du Rwanda, qu’il a fait laquer – discuteront des destins tragiques du compositeur italien Don Carlo Gesualdo, qui tua son épouse en 1590, et de Chester Szuber, un Américain qui se fit greffer le coeur de sa fille, morte dans un accident de voiture. «Crime et création», telle est la devise du cruel milliardaire, qui prend plaisir à scandaliser la jeune et pure chanteuse d’opéra.
Il n’y avait que Rober Racine pour imaginer un tel scénario. «Artiste aux mille pattes», il a à son actif de nombreux coups d’éclat en arts visuels, dont le projet du Terrain du dictionnaire A/Z, pour lequel il a découpé tous les mots du Petit Robert – 55 000! – qu’il a ensuite collés sur des bâtonnets placés dans un cadre. Créateur excentrique, il est aussi auteur, professeur et musicien (il a composé et interprété la musique originale du Coeur de Mattingly), et a même fait, en 1995, l’objet d’un mémoire de maîtrise à l’Université de Montréal!
S’il n’y avait que lui pour écrire une histoire aussi saugrenue, il n’y avait, aussi que lui pour le faire avec autant de poésie, d’érudition et d’humour. Cela donne des répliques comme «Pourquoi buvez-vous tant?» «Pour éliminer…», ainsi qu’une amusante tirade sur le prénom Oxymoron, qui signifie «niais aigu». La scénographie, signée également Racine, est d’une efficace simplicité, tout comme sa musique, enveloppante sans être envahissante.
Les comédiens dirigés par Guy Lapierre ne maîtrisent visiblement pas un texte dont ils esquintent la poésie. Malheureusement, la contre-performance de Claude Gai est telle que lorsqu’il lancera, en fin de soirée, «Je suis votre fatalité», quelques spectateurs ne pourront réprimer un éclat de rire… Ceci dit, avec Le Coeur de Mattingly, Rober Racine se positionne néanmoins comme un auteur dramatique doué, avec lequel il faudra dorénavant compter. Souhaitons que cette première ratée ne freine pas un auteur qui a du potentiel…

Jusqu’au 29 avril
Au Musée d’art contemporain de Montréal

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