Scène

«Collage-création» inspiré d’oeuvres d’Ionesco : Un oeuf dans la cité

Produite avec peu de moyens, Un oeuf dans la cité puise dans le talent et l’ingéniosité ce qu’elle n’a pu tirer de ses  goussets.

«Collage-création» inspiré d’oeuvres d’Eugène Ionesco, Un oeuf dans la cité, écrit et mis en scène par Jacques Lessard, présente Bérenger, un écrivain aux prises avec les créatures issues de son imaginaire.
Avant de répondre au souffle de l’inspiration (Ansie St-Martin) et de céder la place à ce qui «patiente en désordre dans l’alphabet», Bérenger (Thierry Dubé) doit se «débarrasser de ses démons», en réglant quelques comptes. Critique, professeur et journaliste sont les mauvais génies qui entravent son travail de création. Comme la critique négative de sa dernière pièce dont on entend la voix obsédante, ces «démons» hantent son esprit et la scène. Prétendant lui apprendre ce qu’est le théâtre, ces doctes personnages mélangent les notions de théâtralité et de distanciation brechtienne aux prescriptions des supposées «costumologie» et «décorologie», sur fond de réflexions ineptes. Ainsi se dessine la confrontation entre l’intuition et l’expérience d’un auteur se butant aux discours abstraits et stériles de «spécialistes».
Produite avec peu de moyens, Un oeuf dans la cité puise dans le talent et l’ingéniosité ce qu’elle n’a pu tirer de ses goussets. Le dispositif scénique créé par Valérie Gagnon Hamel et Vano Hotton illustre par une métaphore la gestation d’une oeuvre: scène ovoïde – jaune -, où trône le bureau de l’auteur; autour de cette estrade, espace circulaire jonché de papiers chiffonnés – blanc. Entourant le tout, un mince voile isole Bérenger, avec ses personnages, «au centre de lui-même» indique Jacques Lessard. L’environnement sonore (Jean-Sébastien Côté), l’éclairage et les costumes sont simples, colorés par quelques masques dignes du père de l’absurde.
De cette «cellule» est tiré le tourbillon qui habite l’imaginaire d’un auteur à l’oeuvre. Les cinq comédiens – Pierre-Yves Charbonneau, Pierre-François Legendre et Ghislaine Vincent complètent la distribution – sont excellents, naviguat avec aisance entre différents niveaux de jeu et incarnant tous, à l’exception de Thierry Dubé, qui campe un Bérenger à la fois doux et anxieux, des rôles divers. On retrouve dans la force du jeu la signature du metteur en scène et la ferveur de comédiens engagés à fond dans ce spectacle. On est frappé aussi par leur habileté à illustrer le travail d’enfantement riche et désordonné qui est le lot de l’écrivain: issus du néant, les personnages s’animent sur scène et s’évanouissent, au gré du travail de Bérenger; sous nos yeux, les scènes se modifient, s’interrompent, se répètent, sous la plume de l’auteur.
Mêlant humour, poésie et absurde, cet hommage à Ionesco est une joyeuse fable sur «l’incubation» d’une oeuvre. Et en tant que retour du Théâtre Repère, la preuve que l’art débordera toujours du cadre étriqué de tout discours théorique, critique… ou financier.

Jusqu’au 6 mai
Au Théâtre Périscope