El Pecado que no se puede nombrar : Folie noire
Scène

El Pecado que no se puede nombrar : Folie noire

RICARDO BARTIS n’aime pas les étiquettes: il se défend bien de faire du théâtre engagé. Pourtant, son spectacle El Pecado que no se puede nombrar remue profondément les spectateurs sur son passage, comme en atteste le succès de la pièce lors du dernier Festival d’Avignon.

Directeur artistique du Sportivo Teatral depuis près de 20 ans, Ricardo Bartis travaille avec sa compagnie en marge des formes conventionnelles: théâtre submergé par l’esthétisme ou consacré au divertissement. Le metteur en scène croit, au théâtre, à la \«recherche profonde» et à la «poésie du langage». D’Argentine, il s’amène au Carrefour international de théâtre avec ses comédiens. Ensemble, ils ont travaillé pendant plus d’un an à la pièce El Pecado que no se puede nombrar, créée en 1998 à partir d’oeuvres de Roberto Arlt.
Écrivain argentin ayant vécu de 1900 à 1942, Roberto Arlt peint dans ses oeuvres une image sombre, lucide, presque visionnaire du monde. Salué aujourd’hui comme un écrivain majeur en Argentine, Arlt fut boudé dans son propre pays jusque dans les années 1950 – il «dérangeait» -, et ce n’est que depuis quelques années qu’on le traduit en français.
Bartis et son équipe se sont inspirés de deux parties d’un roman touffu, Les Sept Fous (1929) et Les Lance-Flammes (1931), pour créer leur pièce. Sans les transposer à la scène, ils ont considéré ces écrits comme un «support à la création». Conservant les actions principales de ces récits, ils ont utilisé «l’extrapolation» afin de «développer leur propre création» à partir de l’univers pessimiste et plein d’ironie de Roberto Arlt.
Considéré par Ricardo Bartis comme un «précurseur de l’existentialisme», Roberto Arlt s’apparente à Dostoïevsky, écrit Sabrina Weldman (revue Mouvements, juin-juillet 1999), par sa «métaphysique noire […]: le sentiment d’angoisse et de désespoir d’une humanité avide de pureté et flouée par la réalité.» Les sept personnages des Sept Fous de Arlt, qu’on retrouve dans la pièce El Pecado…, rappellent en effet ceux des Possédés, de l’auteur russe.
À Buenos Aires, en 1929, sept hommes, marqués par l’angoisse et l’échec, se réunissent dans un sous-sol, afin de tramer la perte de la classe capitaliste… Les conspirateurs imaginés par Bartis, rêvant d révolution, oscillent entre réalité et surréalisme, toujours en fragile équilibre, sur le fil de la folie. Entre tragique et ridicule, ces personnages incarnés par les comédiens que dirige Ricardo Bartis, pour qui «le noyau du théâtre est certainement l’acteur», donnent le vertige, par leur impuissance, leurs pulsions morbides, leurs passions.
Tissée dans une Buenos Aires très concrète, la pièce du Sportivo Teatral semble provoquer de «profondes résonances», même à l’extérieur de l’Argentine, explique Bartis. Grâce à «l’approche lucide et révélatrice de Roberto Arlt», l’histoire des «sept fous» comporte des «éléments d’humanité universelle»: réflexion sur les valeurs, interrogations sur l’existence, peurs et fantasmes. Les particularités argentines se retrouvent surtout dans le traitement du sujet: stratégies littéraires, texture du langage poétique.
L’oeuvre de Roberto Arlt, avec laquelle nous donne rendez-vous le Sportivo Teatral, est explosive, et n’a pas vieilli. Ces quelques lignes, par exemple, écrites lors de la publication en 1931 des Lance-Flammes, trouvent toujours un troublant écho: «Je suis ardemment attiré par la beauté[…]. Mais aujourd’hui, au milieu des bruits d’un édifice social qui s’écroule, il n’est plus possible de penser faire de la broderie […]. Nous créerons notre littérature […] en écrivant dans une orgueilleuse solitude des livres qui auront en eux la violence d’un crochet à la mâchoire.»

Du 11 au 13 mai
À la Caserne Dalhousie
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