Jack et Jill : Les deux solitudes
Sorte d’Un gars, une fille, version sérieuse, Jack et Jill dissèque, à coups de scènes-clés, la formation, puis la décomposition d’un couple, cette drôle de valse-hésitation qu’est l’engagement amoureux. Miroir d’une époque où les relations se compliquent de narcissisme carriériste, Jack et Jill se penche sur la difficulté d’être deux quand on veut aussi rester un.
Un homme, une femme. Quoi de plus simple, et quoi de plus compliqué à la fois? La mystérieuse alchimie du couple est l’une des grandes obsessions de la société occidentale contemporaine, qui y consacre des romans, des films, des livres de psycho-pop et moult thérapies. Sans réussir à percer le secret de cette chose «sublime» qu’est l’union de deux de ces «êtres si imparfaits et si affreux», comme l’écrivait Alfred de Musset.
Thème rabâché, donc, que celui de Jack et Jill. Mais que l’auteure américaine Jane Martin (un pseudonyme) traite de façon adulte, assez intelligente et complexe. C’est dire que la pièce – primée en 1997 par l’American Theatre Critics Association -, sans renouveler le genre, plane un cran plus haut que la majorité des bluettes sur le couple.
Sorte d’Un gars, une fille, version sérieuse, Jack et Jill dissèque, à coups de scènes-clés, la formation, puis la décomposition d’un couple, cette drôle de valse-hésitation qu’est l’engagement amoureux. Miroir d’une époque où les relations se compliquent de narcissisme carriériste, de trop d’analyses, de je-dois-d’abord-me-trouver-moi-même, et où la spontanéité a été remplacée par des négociations serrées, Jack et Jill se penche sur la difficulté d’être deux quand on veut aussi rester un.
Individualisme, jeux de pouvoir, impossibilité de concilier des désirs contradictoires: le constat n’est pas neuf. Et le parcours de Jack et Jill est balisé par les étapes obligées du genre: la première nuit, et ses pourparlers d’avant-match, malhabiles mais explicites («pas de pénétration»); la vaisselle brisée; la scène de rupture, résumée, comme dans Annie Hall, par la séparation des livres (Joyce Carol Oates pour toi, Dostoïevski pour moi: ça vole quand même assez haut); la rencontre inespérée, des années plus tard, qui se termine au lit…
Mais les observations sonnent juste, les dialogues acérés ne ménagent ni la cruauté ni la crudité. Avec ses dialogues syncopés, inachevés, Jack et Jill se distingue par une écriture nerveuse, qui présnte parfois un caractère presque «mametien». C’est là une histoire traditionnelle racontée à la mode contemporaine, avec des trous, de soudains sauts dans le temps, la permission de ne pas tout expliquer.
Sur scène, il y a d’ailleurs un peu de flou, d’imprécision, parfois, dans les transitions entre les séquences, surtout au début. Pour sa première mise en scène, Sophie Lorain a voulu déjouer les pièges du naturalisme. Elle fait de ce huis clos à deux un théâtre du couple, joué sous le regard social: sur scène avec le tandem principal, quatre acteurs anonymes leur passent les accessoires, et servent de témoins à l’histoire. Un procédé pas inintéressant, qui apporte un petit côté expérimental au show. Reste que ces médiateurs, qui tiennent un peu le drame à distance, encombrent parfois l’exiguë scène de La Licorne.
La comédienne a bien dirigé son duo d’acteurs, pleins de naturel. La frêle Isabel Richer et le costaud Pierre Gendron – initiateur du projet – forment, à première vue, un étrange couple. Pas crédible d’emblée, mais convaincant à la longue. D’abord un peu balourd et maladroit, Gendron (pour qui c’est le premier grand rôle au théâtre) met plus de temps à imposer son personnage de bon gars enamouré. Jack finit par toucher par son obstination amoureuse.
En la méfiante Jill, Isabel Richer trouve le meilleur rôle de sa jeune carrière théâtrale, et l’assurance qui lui faisait défaut lors de ses performances antérieures. Malgré le revirement final forcé de son personnage, qui passe trop radicalement d’une quête égocentrique à la soumission («Je serai ta femelle», supplie-t-elle son homme…). Jack et Jill joue sur les contradictions des femmes contemporaines qui aspirent à l’autonomie, puis découvrent qu’il leur manque quelque chose. Ardu de marier deux besoins antinomiques. Mais c’est l’homme qui semble hériter du rôle le moins ingrat. Moins complexe, peut-être…
Jusqu’au 20 mai
À La Licorne
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