Denise Filiatrault : The Boss
Scène

Denise Filiatrault : The Boss

Chanteuse, comédienne, metteure en scène, scénariste, et maintenant réalisatrice de cinéma, elle n’arrête pas, Denise Filiatrault. Pour une dixième année d’affilée, elle dirige une comédie pour le Théâtre Juste pour rire.

S’il s’agissait d’un mariage humain et non artistique, on appellerait ça des noces de papier. Ça fait dix ans qu’elle est là, fidèle au rendez-vous de la belle saison; que théâtre montréalais estival est synonyme de Denise Filiatrault. Invitée à faire un petit bilan, la metteure en scène attitrée du Théâtre Juste pour rire résume: «Ce que j’ai accompli, c’est de drainer vers le théâtre une clientèle qui, autrement, n’y serait pas allée, peut-être. Et ça, je l’ai pas fait toute seule, mais avec les acteurs.»
Depuis la seconde année, après le succès des Palmes de M. Schutz, c’est aussi elle qui est chargée de dénicher la perle rare, la comédie qui saura rallier un vaste public sans trop sacrifier la qualité du divertissement. Il y a un créneau Juste pour rire: généralement une pièce classique, ou à l’aura classique… «J’ai l’air prétentieuse de dire ça, mais chaque fois que je n’ai pas choisi les pièces (Le Dîner de cons, et Picasso au Lapin agile, une oeuvre que j’adorais, mais que j’aurais voulu monter ailleurs qu’au Festival), elles ont moins bien marché. C’est pas parce que je suis plus fine. C’est juste parce que j’ai plus d’expérience. Ou que je connais davantage le public. Ça fait tellement longtemps que je travaille pour eux!»
Après une décennie, un certain essoufflement commence à poindre… «Je ne suis pas encore essoufflée, mais je vais commencer à l’être. Depuis deux ans, je trouve ça dur de toujours trouver la pièce qui va créer presque un événement. Et le problème, c’est d’avoir les acteurs qu’on veut, parce qu’ils sont toujours pris dans un show de télévision: ils gagnent leur vie avec ça. On ne les a pas pour répéter. Alors, moi qui suis d’un tempérament très nerveux, je fatigue d’autant plus. Et si tu n’as pas de têtes d’affiche, les producteurs ont peur.»
Quant à Denise Filiatrault, la crainte de déplaire au public, «qu’il ne vienne plus», ne l’a pas abandonnée, même après tout ce temps. «Je ne suis pas capable de penser que j’ai plus rien à prouver. Je suis trop paquet d nerfs. Je me dis toujours: tout à coup que ça tombe… D’abord, la responsabilité vis-à-vis des gens qui ont investi des sous, j’en fais une maladie. Et la peur de perdre sa job, c’est peut-être un vieux restant de l’époque où je travaillais au cabaret. Tu faisaits une semaine, et si au bout du deuxième spectacle, on voyait que ça marchait pas trop, tu étais renvoyé, parce que pas rentable…»

Lui et l’autre
Pour le dixième anniversaire du Théâtre Juste pour rire, la metteure en scène s’est offert une valeur plus ou moins sûre, un classique: Les Jumeaux vénitiens, de l’Italien Carlo Goldoni. Un auteur qui s’impose quand on a monté deux fois Molière…
Présentée il y a dix ans au TNM, avec Normand Chouinard dans le double rôle-titre, la pièce met en vedette deux jumeaux identiques, séparés à la naissance, qui feraient triompher la théorie de l’acquis sur celle de l’inné, tant ils sont de tempéraments dissemblables: Vénitien d’adoption, Tonino est un bellâtre intelligent; élevé à Bergame, «un genre de Drummondville à l’époque»; Zanetto se révèle niais et plutôt mal embouché. Évidemment, lui et l’autre (tous deux campés par Yves Jacques) se retrouvent par hasard en même temps à Vérone, chacun devant y rencontrer une belle qu’ils ont promis d’épouser. À partir d’une telle prémisse, vous imaginez bien que Goldoni a échafaudé une intrigue qui empile imbroglios sur quiproquos…
«Pour moi, c’est un prétexte pour divertir les gens», annonce Denise Filiatrault. Écrite en 1747, juste avant que l’auteur de La Locandiera n’entreprenne sa réforme de la comédie italienne, Les Jumeaux vénitiens garde l’empreinte de la commedia dell’arte. Une veine exploitée par la mise en scène de Filiatrault, qui a coupé beaucoup de redites dans le texte. «Tout ça doit être joué à la façon de la commedia dell’arte, avec beaucoup d’ampleur, sinon c’est énorme, cousu de câbles blancs. C’est pour ça que j’ai choisi Pierrette Robitaille pour jouer la belle jeune Italienne, dont tous les hommes sont amoureux qui aurait dû être une espèce de Sophia Loren. Pourquoi pas? Je la voulais comique, parce que souvent les personnages féminins sont straight, et ça fait gnangnan.»
Comme elle l’avait fait dans Les Fourberies de Scapin, Denise Filiatrault a donc joué un peu d’audace dans son casting, confiant l’autre jeune première à Marie Charlebois. Sa distribution inclut aussi l’inimitable Carl Béchard en amoureux imbu de lui-même, Stéphane Brulotte en Arlequin, Henri Chassé en soupirant grandiloquent, Roger La Rue en méchant, Benoît Girard en père intéressé… Et elle a donné un petit rôle à Vitali Makarov, comédien d’origine russe vu dans son film C’t’à ton tour Laura Cadieux… la suite, et vedette des pièces d’Alexandre Marine, «un metteur en scène que j’adore».
La metteure en scène a d’ailleurs jeté son dévolu sur Les Jumeaux vénitiens parce que «c’est une pièce d’acteurs, qui fait valoir leur talent. Et j’avais Yves Jacques pour la jouer, un gars surdoué, qui peut bouger, chanter… Il fait tout.»
Et Denise Filiatrault est résolument une metteure en scène d’acteurs. Au théâtre comme au cinéma. Elle parle de ses interprètes avec affection et admiration. Et fureur, parfois, devant le cabotinage qui s’installe quand les comédiens sont laissés à eux-mêmes… «Je retourne voir mes spectacles au bout de 15 jours. Après, je n’y vais plus. Parce que je prendrais un comédien pour taper sur l’autre. Je deviens enragée. Ils en mettent! Et ils ne s’en rendent pas compte. C’est pas méchant des acteurs, c’est naïf. Ils entendent un rire, et le lendemain, ils en mettent un peu plus. Jusqu’au jour où les gens ne rient plus, parce qu’ils ne sont plus drôles: ils ne jouent pas la situation, ils jouent au comique! Il ne faut pas que tu joues au comique, il faut que tu le sois. Et ne prends pas les gens pour des imbéciles. Moi, en tant que metteure en scène de comédie, ça m’in-sul-te. Je fais ce que je peux avec le talent que j’ai, mais j’ai quand même plus de goût qe ça! Mais les acteurs savent que je les aime.»
Avec le temps, cette perfectionniste trouve cela plus difficile de conjuguer son travail de mise en scène et ses autres obligations. «Ce qui est dur, c’est que tu ne peux pas répéter tranquille. Moi, quand je fais une mise en scène, je ne voudrais même plus répondre au téléphone. Je ne suis plus là. Mais il faut faire sa commande d’épicerie, accorder des entrevues… C’est ça qui me fatigue le plus. Si j’avais juste à répéter… J’ai envie d’être là tout le temps. C’est comme un mariage.»

La piqûre du cinéma
Pour l’année prochaine, Denise Filiatrault a refusé trois mises en scène (dont celle de Qui a peur de Virginia Wolf?, au Rideau Vert), parce qu’elle attend l’ultime réponse de Téléfilm Canada concernant le scénario de Nathalie Petrowski, Maman Last Call, déjà refusé deux fois, et un peu remanié par ses soins depuis. Et si ça tombe à l’eau? Eh bien, déçue mais point désoeuvrée, elle va continuer à oeuvrer sur son projet de coproduction avec la Pologne, dont elle disserte avec un enthousiasme débordant. La réalisatrice, «folle de Chopin», écrit un scénario inspiré par le parcours d’une attachée de presse polono-montréalaise, qui fut l’élève du pape actuel, avant de s’amouracher d’un pianiste canadien.
Et pour l’avenir? «Je voudrais faire encore quelques films, et après, écrire seulement, pour le cinéma ou la télévision. J’ai toujours eu beaucoup d’offres au théâtre. Mais j’ai envie de passer à autre chose. J’ai eu la piqûre du cinéma. Et comme après, je vais être trop vieille pour faire quoi que ce soit, j’arrêterai tout. Et ça va être correct, je pense que j’aurai eu une belle carrière. Avec le talent que j’ai.»
Une carrière qui aura fait voir, en tout cas, une succession de métamorphoses: chanteuse, comédienne, metteure en scène, scénariste, et maintenant réalisatrice de cinéma…
Denise Filiatrault avoue pourtant un regret: «Ce qui me fait de la peine, c’est que j’aurais aimé aller étudier la technique dans une écoe de cinéma. Pour pouvoir arriver avec plus d’assurance, affirmer davantage ce que je veux, ou trouver des moyens plus faciles de l’atteindre. Mais, à 69 ans, je pense que c’est un peu trop tard… Disons que je vais continuer à être une assez bonne raconteuse d’histoires, et à essayer de diriger des acteurs. Pour ça, par contre, je suis pas pire…»

Du 29 juin au 30 juillet
Au Théâtre Saint-Denis II
Voir calendrier Théâtre