12 Hommes en colère : Un homme à abattre
Ce n’est pas le débat sur la peine capitale qui a fait la renommée du thriller psychologique 12 Hommes en colère, mais plutôt le caractère exemplaire de cet intense huis clos, qui confronte pendant quelques heures ces douze hommes très différents, élus par le hasard – et sans doute quelques avocats.
La vie a parfois le don de singer la fiction de façon troublante. Jeudi dernier, à peu près à l’heure où s’ébranlait au Théâtre du Vieux-Terrebonne la première médiatique de 12 Hommes en colère, le Texas mettait à mort dans la controverse un dénommé Gary Graham, qui protestait de son innocence. La colère était cette fois dans le camp des opposants à cette énième exécution dont l’État de George W. Bush fait désormais une routine. La vaste remise en question que vivent les États-Unis face à leur système judiciaire, et surtout à l’application de la peine de mort, faisait écho, par la bande, aux interrogations soulevées dans la pièce américaine de 1953. Preuve, hélas, qu’au pays de l’Oncle Sam, certains débats sociaux n’ont guère évolué en quarante ans…
Ce n’est pourtant pas le débat sur la peine capitale qui a fait la renommée du thriller psychologique de Reginald Rose, mais plutôt le caractère exemplaire de cet intense huis clos, qui confronte pendant quelques heures douze hommes très différents, élus par le hasard – et sans doute quelques avocats. L’auteur analyse la dynamique de groupe dans cette oeuvre si emblématique que le film qu’en a tiré Sydney Lumet, en 1957, était au programme de mon cours de psychologie sociale, au cégep! C’est tout dire…
D’abord écrite pour la télévision, la pièce se ramène donc aux difficiles délibérations de ce jury (entièrement masculin et blanc comme neige, comme l’époque le voulait) séquestré dans la moiteur d’une soirée new-yorkaise pour décider du sort d’un jeune homme accusé d’avoir poignardé son père. A priori, tout accuse le gamin de dix-neuf ans, issu d’un milieu mal famé. Pourtant, un juré (Jacques Baril, convaincant) ose remettre en question le verdict écrit d’avance: comment condamner un homme à la chaise électrique sans au moins en discuter un peu d’abord? Disséquant le procès point par point, le récalcitrant en viendra à refaire le travail, bâclé, de l’avocat de la défense. Et à rallier un à un ses collègues…
La pièce pose la question chère à l’Amérique, de la liberté d’expression: comment une société accepte-t-elle la dissidence? Elle montre à l’oeuvre la difficulté de soutenir un point de vue contraire à celui du groupe, et les interactions qui en découlent. Cette situation agit à la façon d’un révélateur: les préjugés et déterminismes émergent, les personnalités se découvrent, les jeux d’influence se mettent en action. Et les esprits s’échauffent…
Rose a mis en place une mécanique schématique mais diablement efficace, amenant les détails de l’histoire et ses coups de théâtre à travers une architecture des plus habiles. La mise en scène de Jacques Rossi restitue bien la touffeur et la tension de cet affrontement exacerbé par la chaleur, la fatigue, l’excès de testostérone. Et le choc des personnalités. Issus de divers milieux, ces jurés sans nom sont des types très circonscrits. Et ils sont campés comme tels: le Roger-bon-temps qui ne songe qu’à sa joute de base-ball (Vincent Bilodeau); le vieillard distingué (Jean Dalmain); le gars de droite, prisonnier de ses préjugés (Aubert Pallascio); le commis timoré, qui s’affirme graduellement (Marcel Pomerlo)… Et le plus acharné de tous: le père aigri, aveuglé par une rancoeur personnelle, incarné avec sa force écrasante coutumière par l’excellent Raymond Bouchard, vibrant tour à tour de fureur et de pathétisme.
Une ombre au tableau: Jean-Bernard Hébert, plutôt pompeux dans son rôle d’ultra-rationnel. Meilleur producteur qu’acteur, le directeur du Théâtre ProFusion s’entête à s’offrir des petits personnages dans ses shows. Mais celui-ci, plus consistant, dépasse un peu ses moyens…
Traduit par Claude Maher d’après le film, le spectacle ne dépaysera pas ceux qui ont vu le long métrage de Lumet. Annoncée par la pétaradante musique du son TDX qui précède les séances de vues (!), 12 Hommes en colère garde l’empreinte du cinéma. Même si cela oblige, au début, à nous présenter de dos certains comédiens, placés autour d’une table circulare. On regrette alors les caméras…
Peu de surprises, donc, pour les cinéphiles avertis. Mais un spectacle généralement prenant qui évoque les belles années du Théâtre ProFusion, et souligne ainsi son quinzième anniversaire de la meilleure façon: en proposant un texte intelligent et plus costaud, qui tranche sur le menu allégé de la saison.
Jusqu’au 9 septembre
Au Théâtre du Vieux-Terrebonne
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