Felix Ruckert : Ce soir, on danse
En dix ans, Felix Ruckert a conçu une dizaine de projets de «danse relationnelle», un concept qui rapproche les spectateurs des danseurs. Danse-Cité propose deux événements Ruckert, la semaine prochaine, à Tangente et à l’Agora de la danse.
Grande première cet été: on pourra voir de la danse au studio de l’Agora et à l’Espace Tangente, habituellement en relâche à cette période. On doit cette initiative à Danse-Cité qui invite le Berlinois Felix Ruckert à présenter en reprise Hautnah et un spectacle inédit, Schwartz.
Il s’agit de deux concepts uniques à plusieurs points de vue. Dans Hautnah, les 10 danseurs livrent chacun une performance pour un seul spectateur qui l’aura choisie. La danse dure une vingtaine de minutes et se déroule à l’intérieur d’un minuscule espace tapissé de toiles blanches. C’est aussi silencieux que dans une chapelle. Seuls des bruissements et des chuchotements provenant des voisins viennent rompre le silence. C’est troublant, mais le plus fou, c’est qu’on adore!
Présenté pour la première fois l’année dernière, Hautnah avait fait un malheur. «Les spectateurs sortaient de la salle le sourire aux lèvres. Une atmosphère de fête régnait sur ces soirées. Les gens attendaient nerveusement, ou avec impatience, que les danseurs viennent les chercher. Ils échangeaient des impressions, se suggéraient des noms. J’aurais pu facilement faire un mois avec ce spectacle», raconte Daniel Soulières, directeur artistique de Danse-Cité.
Une distribution de 5 Européens et de 7 Québécois compose Hautnah dont Catherine Tardif, Catherine Jodoin, Emmanuel Jouthe, Benoît Lachambre, Jacques Moisan, ainsi que deux recrues: Marc Boivin et Nancy Leduc. Créé voilà cinq ans, ce concept est, depuis, présenté dans plusieurs villes européennes. «Pour les représentations montréalaises, je tenais à ce que des interprètes québécois en fassent partie», dit Daniel Soulières. Au printemps 1999, après son passage à Montréal, Hautnah a reçu un accueil chaleureux au Joyce Theatre à New York. «Les New-Yorkais étaient encore plus intimidés par la formule», raconte le chorégraphe Felix Ruckert, joint au téléphone la semaine dernière en Belgique.
Et pour cause! Pendant le spectacle, notre coer bat la chamade lorsque le danseur nous prend la main, nous chuchote des mots ou encore danse exclusivement pour nous. Sans trop savoir pourquoi, la magie opère. On ressort de ce tête à tête enchanté et avec le désir de participer à un autre solo et à un autre encore. Selon Daniel Soulières, les danseurs sont aussi intimidés. «Ils craignent cette intimité… Mais, en même temps, ils en ont besoin. Cette expérience leur permet d’approfondir leur travail d’interprétation.»
Du côté de chez Schwartz
L’autre pièce, Schwartz, navigue sensiblement dans les mêmes eaux. Présenté à l’Espace Tangente, le concept pousse d’un cran le partage d’intimité avec un(e) inconnu(e). Ici, le spectateur se retrouve au sein d’un groupe de 20 à 60 personnes. À partir de consignes projetées sur le mur, il est tantôt danseur, tantôt public. Tout se fait en duo sur une musique live et on change de partenaire à tout moment. Le compositeur belge Claude Meyer adapte sa musique selon l’état d’esprit du groupe. «Si le groupe est surexcité, la musique sera relaxe. S’il est calme, elle sera échevelée», précise Felix Ruckert.
Si Hautnah nous donnait des sueurs froides, on risque la crise d’apoplexie avec Schwartz, qui comporte deux parties. «Tout se fait progressivement et ça reste toujours simple, assure le chorégraphe. Par exemple, le spectateur-danseur communique par un geste une caractéristique qu’il aime de son partenaire. À l’étape suivante, il lui touche la main, etc.» D’après lui, Schwartz se déroule bien lorsque les spectateurs ne se connaissent pas. Il note que les femmes sont plus enclines à collaborer. «Elles ont l’habitude de s’amuser alors que les hommes craignent de s’afficher.»
Si à la fin de la première partie, qui dure 45 minutes, on est mal à l’aise avec la formule libre, on peut mettre fin à l’expérience. Selon le chorégraphe, de 5 % à 10 % seulement du public déserte la salle. «C’est clair qu’il faut s’investir pour en tirer plaisir, estime Ruckert. Mais lorsque c’est fait vec authenticité, la danse devient extrêmement belle et touchante.» «Ce n’est jamais bousculant et les appréhensions tombent vite, précise de son côté Daniel Soulières. Tout est fait avec finesse et sensibilité.»
Depuis le début des années 90, Felix Ruckert a conçu près d’une dizaine de projets de danse relationnelle. Formé à la réputée école d’Essen, en Allemagne, il a dansé pour Pina Bausch pendant deux ans. Si, en Europe, on connaît Ruckert pour sa danse relationnelle, il lui arrive de créer de la danse stylisée devant un public sagement assis. Enfin presque. «La notion de relation avec le spectateur reste toujours importante», dit-il. Cependant, le chorégraphe ne s’approche de «la vérité» qu’avec des projets comme Hautnah et Schwartz. «Ça déclenche pas mal de choses. On communique, avec notre corps, ce que l’on a de plus profond en soi; et la frontière des classes sociales n’existe plus.»
Les spectacles de Ruckert attirent énormément de monde. Si le bouche à oreille fonctionne comme l’année dernière, l’Agora de la danse risque de vivre de chaudes soirées.
Du 5 au 8 juillet et du 11 au 15 juillet
À l’Agora de la danse et à l’Espace Tangente
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