Guy Nadon : Violence et passion
Scène

Guy Nadon : Violence et passion

Cet été, GUY NADON s’investit sérieusement dans une comédie grinçante sur la violence au cinéma et les liens entre fiction et réalité. Une pièce «diaboliquement intelligente» pour un acteur qui l’est tout autant.

Vous avez probablement vu quelque part l’affiche sulfureuse du spectalcle: un homme, l’oeil hagard, enlance une femme en mini-jupe de cuir, tout en tenant un fusil pointé vers le sol. Pop-corn annonce ses couleurs: du sexe et de la violence. Par contre, l’affiche ne dit pas que cette pièce, tirée du roman à succès du Britannique Ben Elton (400 000 exemplaires vendus en Grande-Bretagne seulement), est surtout une satire de l’exploitation du sexe et de la violence au cinéma.
Beverly Hills, la nuit de la cérémonie des oscars. Alors qu’il rentre chez lui en bonne compagnie, le cinéaste Bruce Dilamitri (un croisement comique entre Quentin Tarantino et Oliver Stone) arrive face à face avec des visiteurs impromptus. Deux tueurs qui ont décidé de se servir du réalisateur primé par l’Académie afin d’échapper à la justice. Ils prendront en otage Dilamitri et sa petite famille dysfonctionnelle. Ensuite, ils alerteront les médias qui, bien sûr, se délecteront de ce drame en direct.
\«Entre Pulp Fiction et Trainspotting, une comédie à la sauce british, noire comme un polar américain», écrivait Le Journal du dimanche. Car la pièce a été jouée en France devant 100 000 spectateurs, et s’est vu attribuer un Molière en 1998. Toutefois, les Québécois entendront la traduction très crue de René Gingras, dans la mise en scène d’Yves Desgagnés, qui prend l’affiche du Théâtre du Nouveau Monde le 3 juillet. La distribution comprend neuf acteurs. Emmanuel Bilodeau et Suzanne Lemoine forment le couple de tueurs; Maude Guérin incarne une starlette célèbre pour avoir fait… le centerfold de Playboy; et Guy Nadon défendra le controversé réalisateur hollywoodien.
«C’est diaboliquement intelligent!» Le comédien Guy Nadon résume ainsi les qualités de Pop-corn. «L’écriture de Ben Elton fait apparaître des sens inattendus et pertinents. Par l’humour, cet auteur aborde quelque chose de fondamental à mon avis: la déresponsabilisation collective de la société nord-américaine. Nous vions à une époque où plus personne ne veut porter le blâme. Chacun est la victime de quelqu’un d’autre. Des gens consacrent leur vie entière à vouloir faire payer aux autres des fautes révolues, des blessures d’enfance, des injustices historiques.
«À partir de quand peut-on assumer son propre passé? À quel âge devient-on responsable? Responsable, dans le sens premier du mot: être l’auteur de. C’est drôle, les gens s’attribuent toujours leurs succès, mais jamais leurs échecs. Quand ça ne marche pas, ils trouvent toutes sortes de raisons pour se justifier.»

Mourir sur scène
Au premier plan, Pop-corn interroge la responsabilité sociale des artistes. En réalisant des films extrêmement violents, Bruce Dilamitri cautionne-t-il la profilération de la violence dans la société. Plus largement, la fiction a-t-elle un pouvoir sur la réalité?
«Est-ce qu’Othello pousse les hommes à tuer leurs femmes? réplique Guy Nadon. Je pense qu’il n’existe pas de relation de cause à effet entre la fiction et la réalité. Le cinéma et la télévision ne diffusent pas uniquement des drames violents; il y a aussi beaucoup de comédies et d’émissions d’humour. Or, est-ce que les gens sont plus comiques dans la rue pour autant? À la limite, je pense que le spectacle de la violence rend la société moins violente.»
Pop-corn est donc une pièce violente. Comme l’est le théâtre de Shakespeare. En répétition, les acteurs ont dû s’habituer à manier des armes à feu. Chaque soir, ils s’en serviront pour tuer des personnages. «C’est passionnant de voir mourir des personnages sur scène. Shakespeare en a fait sa fortune», affirme celui qui, avec brio, a rendu l’âme plus d’une fois en jouant Cyrano de Bergerac, en 1996.
En somme, le théâtre sert à nous faire vivre des émotions autres, différentes de la réalité… «J’ai lu récemment un article extraordinaire du critique Gilles Marcotte. Il écrivait que "la littérature est inutile"; et que, plus modestement, "elle est peut-être nécessaire". Le théâtre est donc aussi inutile. Dans ‘absolu, l’artiste n’a aucune responsabilité sociale.
«De la part d’un acteur, ce n’est pas très noble comme déclaration. Or, procurer du plaisir à des spectateurs, c’est déjà une responsabilité colossale! Je fais ce métier-là pour être plus libre. Pas pour changer le monde. Et la vraie liberté se trouve dans la contrainte de l’engagement. Pour moi, cet engagement est dans le jeu et l’expérimentation. Je suis un acteur qui écrit quelque chose sur la scène avec du coeur et de la sueur.»
Voilà un beau témoignage d’un homme qui dit avoir appris de son passé. Désormais, il porte l’entière responsabilité de ses choix artistiques. Même si cela l’a quelque peu éloigné de la scène (Nadon joue beaucoup moins que dans les années 70 et 80, époque où il était «abonné» du TNM et du Théâtre d’Aujourd’hui).
Et les feux de la rampe? «Trop d’artistes se reconstruisent narcissiquement en faisant ce métier pour devenir des vedettes. Je le sais, plus jeune, je suis tombé dans ce piège moi aussi. Un jour, j’ai réalisé que cette ambition représentait un cul-de-sac. Au fond, je recevais des prix pour me féliciter d’être très carencé!!! Alors, je me suis occupé de moi. Finalement, je suis devenu un peu plus responsable…»

Dès le 3 juillet
Au Théâtre du Nouveau Monde
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