Les Jumeaux vénitiens : Double jeu
Pour sa dixième mise en scène au Théâtre Juste pour rire, Denise Filiatrault a opté pour une comédie légère mettant en scène deux jumeaux dépareillés, interprétés par un seul et même comédien, le (très) polyvalent Yves Jacques. Un beau défi pour la reine du timing, qui le relève avec l’aplomb qu’on lui connaît.
Pour sa dixième mise en scène au Théâtre Juste pour rire, Denise Filiatrault a opté pour une comédie légère mettant en scène deux jumeaux dépareillés, interprétés par un seul et même comédien, le (très) polyvalent Yves Jacques. Un beau défi pour la reine du timing, qui le relève avec l’aplomb qu’on lui connaît. Classique du théâtre comique tissé d’imbroglios et de quiproquos, Les Jumeaux vénitiens se révèle un divertissement de qualité, ce qui est plutôt rare durant la saison chaude…
L’histoire est d’une grande simplicité: deux jumeaux identiques se retrouvent, à leur insu, réunis à Vérone pour y préparer leurs mariages respectifs. Élevé à Venise, Tonino est un bellâtre plein d’esprit; tandis que Zanetto, qui a grandi à Bergame (le Drummondville italien!), est un niais mal dégrossi. Les méprises se multiplieront jusqu’à ce que Tonino le perspicace découvre le pot aux roses.
Écrite il y a plus de deux cent cinquante ans par le parrain de la comédie italienne, Carlo Goldoni, cette longue pièce a été efficacement raccourcie par Denise Filiatrault. Seules les prémisses de l’histoire des gifles (celle reçue par Zanetto, et celle donnée par Tonino) ont malheureusement perdu un peu de leur clarté dans l’opération. Bien sûr, il s’agit de théâtre léger, et la metteure en scène a tout fait pour tirer de cette comédie sa substantifique moelle humoristique. Ainsi, les répliques servent surtout à lier entre eux les numéros des comédiens, déchaînés, farcis d’un humour visuel qui dilate la rate mais apporte bien peu à la progression dramatique.
Cela dit, le casting audacieux de Denise Filiatrault aura porté fruit. Pierrette Robitaille campe avec brio Béatrice, une jeune première méditerranéenne (!) au caractère bouillant, éprise du beau Tonino. En pleine possession de ses moyens, la comédienne incarne avec prestance ce "tempérament" dont les hilarantes scènes de jalousie lui vaudront plusieurs applaudissements. Constamment sur scène, Yves Jacques livre une performance impressionnante. Très à l’aise, jouant de son grand corps dégingandé, il se voûte et emprunte un ton nasillard pour interpréter Zanetto, un "p’tit pas fin" sans subtilité dont il fait un parfait imbécile, puis se redresse et se pavane quand il incarne le spirituel Tonino. Le comédien ne ménage pas ses efforts, allant jusqu’à se rouler par terre pour mimer une carpe hors de son étang. Une mention spéciale doit aussi être accordée à Marie Charlebois, dont la Colombine gouailleuse et dégourdie a du punch. En Florindo, un poltron amoureux de la belle Béatrice, Carl Béchard en fait des tonnes: précieux et pince-sans-rire, il n’a qu’à exécuter un pas de danse pour que la salle croule de rire… Le reste de la distribution est à l’avenant. Dommage que d’excellents comédiens comme Stéphane Brulotte, Vitali Makarov et Henri Chassé aient hérité de rôles de peu d’ampleur, où seules leurs aptitudes à faire les clowns sont mises en valeur.
Denise Filiatrault nous avait prévenus: ses Jumeaux sont joués façon commedia dell’arte, et tout y est, même les coups de bâton. Les anachronismes pullulent: un gendarme moustachu se gave de beignes tandis que ses collègues aspergent un présumé voleur, de poivre de Cayenne; un jumeau pousse un petit air country sous la fenêtre de sa belle. Et la porte tournante de bois imaginée par Guillaume Lord donne lieu à un étourdissant numéro dans lequel Yves Jacques, tourbillonnant, incarne quasi simultanément Tonino et Zanetto. Le décor en trompe-l’oeil et les costumes colorés de François Barbeau apportent en plus une touche bédéesque à l’ensemble.
Ajoutez à cela un finale magnifique qui fait un clin d’oeil à la commedia dell’arte et vous avez un divertissement de haut calibre illuminé de flashs inventifs, qui gagnerait toutefois à être joué avec un peu plus de rigueur. Mais l’Italie, on le sait, est la patrie de la démesure, et la saison estivale se prête bien aux excès…
Jusqu’au 30 juillet
Au Théâtre Saint-Denis
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