Tango : Critique
Scène

Tango : Critique

Texte dense à l’humour grinçant, Tango présente avec intelligence, puisant volontiers à l’absurde, un propos toujours actuel: les masques changeants du pouvoir. S’y agitent des personnages bien imparfaits mais combien attachants, marionnettes de leurs rêves et de leurs illusions fragiles.

Depuis ses débuts en 1997, le Théâtre des Fonds de Tiroirs se mesure avec audace à de grands textes: La Cantatrice chauve et Jacques ou la Soumission de Ionesco, Le Cid maghané de Réjean Ducharme. Cet été, le metteur en scène Frédéric Dubois et ses complices présentent Tango, écrite en 1964 par le Polonais Slawomir Mrozek, témoin critique de son époque, dans un siècle où se succèdent – et se ressemblent? – régimes politiques et idéologies.

Tango nous ouvre l’intimité d’une étrange famille: la grand-mère (Anne-Marie Olivier) joue au poker, la mère (Éva Daigle), fragile séductrice, s’acoquine avec un «ami» de la maison (Frédérick Bouffard), le père (Christian Michaud) philosophe et crée. Dans cette demeure, un seul ennemi: la convention; un seul idéal: la liberté. Dût-elle être totalitaire.

Arthur (Ludger Côté), fils de la maison, entreprend de faire marcher droit tout son monde. Il veut rétablir les principes et les traditions: l’ordre, que ses parents ont aboli à coups d’actions militantes… De là, stratégies, jeux de pouvoir et d’influences, revirements et désillusions, toute idée érigée en principe se corrompant d’elle-même, et ne pavant la voie qu’à l’opportunisme.

Texte dense à l’humour grinçant, Tango présente avec intelligence, puisant volontiers à l’absurde, un propos toujours actuel: les masques changeants du pouvoir. S’y agitent des personnages bien imparfaits mais combien attachants, marionnettes de leurs rêves et de leurs illusions fragiles.

Les comédiens évoluent dans un dispositif scénique étonnant d’efficacité (Yasmina Giguère). Aussi simple qu’ingénieux, il est fait d’un entassement de boîtes de carton figurant meubles, pièces de la maison, souvenirs du passé: un chaos joyeux et décadent.

Frédéric Dubois exploite avec imagination cette proposition pour créer un huis clos percutant. Rapports des personnages dans l’espace, mouvements de groupe, illustrant solidarité autant que conformisme, gestes chargés de smboles politiques suggèrent les diverses relations de pouvoir: hiérarchie familiale, empire de la séduction, rapports de classes, lien bourreau-victime. Le jeu des comédiens, très précis, charge de sens les moindres nuances des gestes et des regards. Tous les membres du clan trouvent dans la distribution, complétée par Sylvio Manuel Arriola et Monelle Guertin, des interprètes au talent solide. Cette métaphore s’accompagne de l’environnement sonore créé par Pascal Robitaille, «chercheur de bruits», ajoutant malaise ou humour à un univers déjà insolite.

Les mouvements s’inspirent souvent du tango, mélange de contrôle extrême et d’abandon, situé «à la frontière de l’ordre et du chaos, là où tout est si fragile», explique Frédéric Dubois. Miroir à peine déformant de notre monde, théâtre engagé, le Tango des Fonds de Tiroirs, réalisé avec des moyens simples, laisse toute la place pour qu’éclate le talent fou de ces jeunes artistes.

Jusqu’au 10 août
Au Théâtre d’été