

Trois amis; une toile. : Critique: Art
Texte fort, mise en scène inventive, grande simplicité des moyens: tout se met en place pour un fameux dérapage, à la fois vertigineux et réjouissant. La pièce Art du Théâtre du Manoir St-Castin surprend, rafraîchit.
Marie Laliberté
Trois amis; une toile. Un grand carré blanc, oeuvre achetée par Serge pour l’incroyable somme de 50 000 $, au grand désarroi de Marc et Yvan.
À partir de leurs réactions, l’une franche et blessante, l’autre hypocrite par lâcheté et affection, les trois amis en viennent peu à peu à un étrange «jeu de la vérité». S’y dévoilent, à l’occasion de ce différend esthétique, frustrations et agacements endurés pendant 15 ans au nom de l’amitié, dans un désordre qui a toutes les apparences d’un flux du subconscient, que maîtrise parfaitement l’auteure, Yasmina Reza, pour servir une comédie psychanalytico-intellectuelle pleine, finalement, de sensibilité.
Le choix du metteur en scène, Philippe Soldevila, et de ses acolytes Frédéric Lebrasseur, à l’environnement sonore, et Christian Fontaine, à la scénographie et aux éclairages, est volontiers anti-réaliste. Les sons inusités, la scène très petite, dénudée, en pente et le jeu des éclairages créent rapidement une impression de déséquilibre, lié à l’intrusion d’un objet qui se glisse dans le quotidien pour déstabiliser ce qu’on croyait solide. Des éclairages, très blancs et provenant de l’avant-scène, ponctuent l’action, suggérant les réflexions de chacun en aparté. Cette «lumière de la vérité», de plus en plus fréquente à mesure que se précise l’affrontement, grandit l’ombre des comédiens sur le mur du fond. Amplifié par cet éclairage provenant du dessous, le jeu touche parfois à la limite de l’expressionnisme, image de la déformation, de l’étirement hallucinatoire des mots et des sentiments explosant hors de proportions à force d’avoir été gardés secrets.
Le texte fin et intelligent, créé à Paris en 1994 et remportant partout un grand succès depuis, prend une teinte étonnante grâce à ce traitement, malgré un début un peu lent. Il est également appuyé par le jeu toujours aussi sûr de Jacques Leblanc, qu’on a plaisir à voir ici dans le rôle d’un personnage plutôt vulnérable. Ses deux comparses, Pierre Houle e Fabien Fleury, sont un peu moins convaincants, notamment par un accent français parfois agaçant; cela n’empêche pas, toutefois, la complicité de s’installer aisément entre les trois interprètes.
Texte fort, mise en scène inventive, grande simplicité des moyens: tout se met en place pour un fameux dérapage, à la fois vertigineux et réjouissant. La pièce Art du Théâtre du Manoir St-Castin surprend, rafraîchit. Quelle que soit la saison.
Jusqu’au 1er août
Au Théâtre du Manoir St-Castin