Louise Laprade : Et vogue le navire
Avec une pièce solo écrite par l’une des plus belles plumes féminines au Québec, mise en scène par une comédienne d’expérience et interprétée par une autre, la saison du Rideau Vert démarre en trombe. Rencontre avec une fougueuse comédienne devenue une femme de théâtre un peu zen…
Louise Laprade
n’a pas peur d’avouer qu’elle n’a pas réponse à tout… Pour cette femme au volant de la Maudite Machine d’Abla Farhoud, la mise en scène représente un lieu extraordinaire pour se libérer de son orgueil, et apprendre à être soi: «C’est la comédienne Nicole Leblanc qui m’a fait remarquer que je répondais souvent "je ne sais pas" à ses questions. Et c’est vrai! révèle d’emblée Louise Laprade. Alors on cherche, puis on trouve… Si je savais tout à l’avance, les répétitions ne seraient d’aucun intérêt, parce que je n’aurais rien à y découvrir!»
Comédienne d’expérience, connue du grand public pour son rôle de Léonie Beauchemin dans Bouscotte, Louise Laprade n’a troqué que momentanément le plaisir de jouer contre celui de diriger. Elle sera cet automne de la distribution du Petit Köchel, une oeuvre de Normand Chaurette fort bien accueillie en Avignon. Si elle a accepté de piloter Maudite Machine d’Abla Farhoud, c’est en grande partie pour le plaisir de «conduire» Nicole Leblanc, «une comédienne au registre fou» qui a déjà joué la pièce sous la direction de Fernand Rainville, en tournée et au théâtre de Trois-Pistoles l’été dernier.
En demandant à la comédienne de reprendre le rôle, Louise Laprade a eu l’impression d’exiger d’elle une tâche herculéenne: oublier les indications du metteur en scène précédent, pour se conformer aux siennes. «Nicole appelle ça son work inprogress! Son personnage a gardé la même truculence, mais nous avons fait un grand travail d’intériorisation.»
Ce personnage, Sonia Bélanger, n’en est pas à sa première incursion dans l’oeuvre d’Abla Farhoud; Nicole Leblanc l’a interprété l’an dernier dans Les Rues de l’alligator. Sauf que, cette fois, la joyeuse brigadière vit de sombres moments: elle est renversée par une voiture, puis mise dans tous ses états par une lettre qu’elle n’ose ouvrir. «En recevant cette missive, elle revoit sa vie. C’est une femme qui a déjà fait beaucoup de chemin pour se libérer, rearque Louise Laprade. Ce qui est différent de la plupart des personnages féminins québécois habituellement mis en scène.»
Le texte poétique d’Abla Farhoud aborde des thèmes que les familiers de son oeuvre reconnaîtront, tels que la connaissance, la solitude, la mort et l’importance des mots. C’est une pièce en kaléidoscope, constituée de souvenirs épars, mettant en scène un personnage féminin riche et complexe. L’ex-membre du Théâtre expérimental des femmes ne voit toutefois pas dans ce show, pourtant écrit, mis en scène et joué par des filles, la preuve d’une avancée des femmes au théâtre. «C’est certain que plus de femmes ont, aujourd’hui, le courage d’écrire et de faire des mises en scène. Mais je trouve qu’il y a encore beaucoup, beaucoup de travail pour les gars. Les beaux rôles pour les comédiennes sont plus rares.» Louise Laprade refuse de reprocher aux auteurs la forte teneur en testostérone de leurs écrits. «Un écrivain ne fait pas de la politique, ni du travail social. Il a ses obsessions propres, quelles qu’elles puissent être. On peut constater la faible représentation féminine, mais on ne peut rien forcer…»
La mise en scène nourrit le jeu de Louise Laprade, qui est encore aujourd’hui fascinée par la vulnérabilité des comédiens. «Le point de vue du metteur en scène, c’est terrible! Depuis que je fais de la mise en scène, je ne peux l’oublier quand je joue. C’est effrayant comment un acteur qui répète est nu, abandonné. On voit ses grandeurs, ses faiblesses, ses ouvertures et ses fermetures.»
En fait, Louise Laprade se perçoit comme le capitaine d’un bateau, qui a besoin de la créativité des autres membres de l’équipage. Elle se dit à l’écoute des suggestions de son actrice Nicole Leblanc, mais aussi de toute l’équipe de concepteurs. Exit, l’ego, place à l’expérimentation! Voilà comment la très humaniste Louise Laprade se met au service de son art. «Pour moi, créer, c’est être humain, de façon concentrée…»
Du 22 août au 16 septembre
Au Théâtre du Rideau Vrt
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