Brigitte Haentjens : Féminin pluriel
La trajectoire artistique de BRIGITTE HAENTJENS se conjugue sous le signe de la liberté et de l’exigence. Passant allégrement de Sophocle à Koltès, du TNM à une aventure en marge des institutions, la créatrice suit ses envies et ses intuitions. Rencontre avec une femme de parole.
Lumineuse, joyeuse, franche et sonore, la metteure en scène Brigitte Haentjens explore pourtant depuis 20 ans la noirceur de l’existence… Que voulez-vous, il y a des gens comme ça, attirés ou fascinés par le malheur des autres. «Je suis gaie dans la vie, dit-elle, mais la souffrance habite sûrement mon imaginaire; sinon je n’aurais pas besoin de me colleter à la douleur des autres. Il y a aussi que dans les ténèbres et la noirceur, je trouve plus de profondeur. Et pour une artiste qui aime la création et la recherche, c’est très stimulant.»
Sa nouvelle création ne déroge pas à cette règle d’art. Intitulée Malina, le spectacle est une adaptation libre du roman d’Ingeborg Bachmann. Livre adapté pour le cinéma, en 1991, par le réalisateur allemand Werner Schroeter, avec Mathieu Carrière, Liza Kreuzer et Isabelle Huppert. Malina origine d’un «coup de foudre, d’un gros choc littéraire pour ce livre ambitieux et obscur», qui a été qualifié de «biographie imaginaire et subjective» de la poète autrichienne. Passionnée de grande littérature, Brigitte Haentjens s’était donné deux ans pour créer ce spectacle, qu’on devait découvrir en mai 1999, à l’occasion du Festival de Théâtre des Amériques (FTA), mais qui a dû être annulé pour des raisons de droits d’auteur.
Tout vient à point à qui sait attendre. Seize mois plus tard, avec sa petite compagnie Sibyllines et le support du FTA, la metteure en scène revient à la charge et présentera Malina à l’Espace Go, dès le 5 septembre, avec Anne-Marie Cadieux, Denis Gravereaux, et un choeur formé de huit comédiens masculins, dont Bernard Meney et Patrice Gagnon.
En voulant exposer l’inconscient d’une femme troublée, Brigitte Haentjens est allée sur les traces d’une auteure pour «comprendre l’oeuvre par l’artiste, et vice-versa». Poète lyrique et écrivaine engagée, née dans la patrie de Thomas Bernhard, morte en Italie, brûlée vive dans des circonstances obscures, Ingeborg Bachmann portait «comme une plaie douloureue» la complicité passée de l’Autriche avec les nazis. «C’était quelqu’un d’extrêmement lucide et intelligent, et, en même temps, elle était dévastée émotionnellement, remarque la metteure en scène. C’est une grande figure de la littérature germanique, mais elle a laissé une oeuvre très courte. Les personnages féminins de Bachmann sont toujours dans une dynamique autodestructrice. Elle était obsédée par la soumission, le couple victime-bourreau. L’asservissement constitue une part de l’imaginaire des femmes; c’est quand même encore très présent, quoi qu’en disent celles qui prétendent qu’on n’en est plus là.»
Détruire, disent-elles
Le rapport affectif féminin et la création sont au coeur des choix théâtraux de Brigitte Haentjens. Le dualité masculin-féminin également. «Je ne sais pas ce qui est à l’intérieur de la tête de toutes les femmes. Mais je pense qu’il n’y a pas de moi possible au féminin en création. Car le moi féminin se dissout dans la création. Pour toutes sortes de raisons: culturelles, éducatives, hormonales et historiques. Je pense que la psyché féminine est tournée vers l’enfantement et la filiation. Et l’enfantement, c’est la maison, l’intérieur, le besoin de conserver, et le don de soi; tandis que la création est une énergie extérieure, proche de celle qui anime le chasseur. Ce n’est pas un hasard si Bachmann avait des points communs avec des auteures écorchées de sa génération. Je pense à Marguerite Duras, à Carson McCullers ou à Virginia Woolf, des femmes qui se sont réfugiées dans la folie ou l’alcool…»
Alors comment réagit Brigitte Haentjens quand on lui cite de grands écrivains, tels que Tennessee Williams, Jack Kerouac et Marcel Proust, dont le rapport avec la création et l’autodestruction était tout aussi problématique? «Certes, il y a d’autres considérations que le sexe des artistes. Je ne place pas tous les hommes sur un pied d’égalité. Il y a la sexualité, la sensibilité, la culture et plusieurs choses dont on peut tenir compte. Mais, comme je suis une femme, jesuis plus intéressée par l’expérience féminine. Et je constate qu’autour de moi, les femmes ont plus de difficulté à exister comme artistes.»
Toutefois Malina ne fera pas dans le théâtre à thèse ni à message. Brigitte Haentjens qualifie son spectacle de très impressionniste et d’onirique. «C’est une descente aux enfers. J’ai évité le psychlogisme. C’est à mi-chemin entre le réel et l’imaginaire. Tu plonges ou tu ne plonges pas », avertit-elle.
La femme de théâtre va continuer à produire des spectacles avec sa petite compagnie. «Je trouve ça important de chercher des formes nouvelles pour ne pas avoir l’impression de me répéter. Et Malina, c’est justement un spectacle qui essaie de trouver de nouvelles façon de dire les choses. Ce n’est pas mon rêve dans la vie de gérer une compagnie et de signer des chèques. Or voilà: qui voudrait me laisser monter une pièce d’après l’oeuvre d’Ingeborg Bachmann au Québec?»
Après Malina, la productrice a l’intention de s’attaquer à Hamlet-Machine, de Heiner Müller, un univers encore noir et désespéré, faut-il le préciser… «Mais je vous jure que je rêve aussi de diriger une pièce en un acte de Feydeau! Pour respirer et prendre un peu d’air…»
Dès le 5 septembre
Au Théâtre Espace Go
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