Malina : Noir sur noir
Scène

Malina : Noir sur noir

On ne pourra jamais reprocher à Brigitte Haentjens de manquer de cohérence. Ces dernières années, la metteure en scène s’est colletée à la colère des femmes (Je ne sais plus qui je suis), à la rage passive d’Électre, et maintenant à l’autodestruction féminine, cristallisée par l’écrivaine autrichienne Ingeborg Bachmann, dont Malina capture la souffrance. À l’Espace Go, la saison débute donc plus ou moins comme elle s’était terminée la saison dernière. Noir sur noir.

On ne pourra jamais reprocher à Brigitte Haentjens de manquer de cohérence. Ces dernières années, la metteure en scène s’est colletée à la colère des femmes (Je ne sais plus qui je suis), à la rage passive d’Électre, et maintenant à l’autodestruction féminine, cristallisée par l’écrivaine autrichienne Ingeborg Bachmann, dont Malina capture la souffrance. À l’Espace Go, la saison débute donc plus ou moins comme elle s’était terminée la saison dernière. Noir sur noir.

Mais on flotte ici dans l’abstraction théâtrale. La coproduction de Sibyllines et du FTA accompagne une femme au fond de son abime existentiel, épousant dans sa forme même la dislocation de cette artiste. Sur scène: un divan qui pourrait être celui d’un psychiatre; une femme, toujours présente, qui allume lentement une cigarette, s’annihile goulûment dans l’alcool ou les cachets; un barbu rébarbatif, qui vient l’observer ponctuellement; une étrange procession muette d’hommes en gris cravatés, indifférenciés, qui semblent surgir de nulle part pour pénétrer épisodiquement dans l’univers mental de l’héroïne…

Austère, lent, oppressant même, tout en touches allusives et en non-dits, Malina se décline autant, sinon plus, par les gestes, les silences tendus, les regards, la musique (une trame de Robert Normandeau, aux sonorités souvent mécaniques) qui pulse presque sans relâche en arrière-fond, que par le texte, fort mais égrené avec parcimonie. Dans un temps suspendu où se mêlent imaginaire et souvenirs, la pièce suit un peu la dérive de la mémoire torturée de l’héroïne. Tout y est à l’état fragmentaire: une mémoire hantée par la culpabilité du passé nazi de son Autriche natale, la relation avec les hommes, pétrie de violence et d’abandon. À nous de remplir les interstices.

Inutile de préciser que cette plongée dans la folie, cette représentation d’un esprit tourmenté exige du spectateur une grande ouverture, puisqu’il est souvent privé de repères. J’avoue, pour ma part, être restée un peu en rade d’émotions devant cette chute si rigoureusement contrôlée et diffuse. Il faut dire que Malina est aussi un spectacle sur l’absence: la protagoniste, sans nom (Malina, contrairement à ce que l’on peut penser, désigne le mari), s’étiole sous nos yeux…

Heureusement, cette femme, qui se consume en une lente agonie sous l’oeil froid d’un homme (Denis Gravereaux) qui la traite en enfant gâtée, bénéficie de tout le talent d’Anne-Marie Cadieux. Fragile et précise, retenue et engagée, avec ce ton inimitable qui la distingue. La comédienne paraît comme distanciée d’elle-même, à la fois profondément en dedans et en dehors de cette douleur, incarnant du même coup la conscience de l’artiste et la souffrance qui l’engouffre. ?

Jusqu’au 16 septembre

À l’Espace Go
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