Arcadia : Le mal du pays
Dans l’Angleterre du XIXe siècle, le domaine des Coverly, "lieu serein, presque idyllique", évoque l’Arcadie. "Dans cet univers qu’on dirait parfait, deux hommes amoureux de la même femme se provoquent en duel, explique Bertrand Alain. Qu’arrivera-t-il?" Au XXe siècle, de jeunes intellectuels, passionnés de littérature, d’histoire et de biologie, cherchent à comprendre les événements, et entreprennent une "enquête". À la fois "suspense historique et comédie d’amour", Arcadia tisse habilement les genres pour donner \"un texte très particulier, unique".
"L’auteur rebâtit l’histoire peu à peu en faisant alterner les scènes des deux époques. C’est très habilement mené: Stoppard disperse les indices très finement, tout en versant là-dedans des réflexions sur la condition humaine et sur la connaissance, et en bonus, des considérations sur l’horticulture…" À travers ces préoccupations diverses, l’auteur britannique d’origine tchèque présente avec humour ce qui se cache sous les mots: les émotions. Une retenue "insulaire" colore les textes du dramaturge, bien qu’il soit, comme le décrit Bertrand Alain, un \"auteur bavard", toutefois "très organisé et plein d’esprit, très rigoureux dans l’écriture".
Arcadia, texte "très dense", a exigé beaucoup de travail de recherche. "J’ai travaillé à comprendre tout, explique le metteur en scène. Plusieurs allusions, peu importantes pour le spectateur, doivent être comprises pour faciliter le jeu des acteurs. L’oeuvre est complexe, mais tout doit se passer dans une grande simplicité, une grande fluidité, comme un exercice de virtuosité très facile, afin que le sens soit limpide."
La pièce, écrite en 1993, est très moderne par la quête de connaissance qu’elle exprime. "C’est un univers assez particulier. La vulnérabilité des personnages, ici, passe par l’intelligence: c’est très curieux, mais assez troublant", observe l’artiste. "C’est aussi très ludique. L’auteur joue sur les mots, avec les sentiments, les sensations. Avec les paradoxes aussi: l’opposition raison/passion, la légèreté face à l’austérité. C’est vraiment intéressant. C’est un univers différent sans doute du nôtre; les Britanniques n’expriment pas les choses de la même façon que nous. Pour eux, les émotions semblent dépasser les mots; ils se disent les choses les plus vraies avec un certain flegme."
Après de nombreux rôles auprès des enfants, dans Maïta, par exemple, et plusieurs personnages mémorables – pensons au "cabaretier chantant" des Femmes de bonne humeur l’hiver dernier ou à Pierrot, paysan dans Dom Juan – Bertrand Alain, récipiendaire en 1998 du Prix Janine-Angers pour son interprétation dans Le Timide au Palais, dirige pour la première fois une pièce au Trident, après deux mises en scène dans des théâtres d’été. "Bien sûr, ça m’énervait!" admet-il. "Mais j’ai travaillé souvent au Trident, et les comédiens que je dirige – au nombre de 12 – sont tous des gens avec qui j’ai déjà joué. Ça se passe très bien; ils sont vraiment très généreux. De me retrouver assis de "l’autre bord", c’est très émouvant. Je sais que c’est dur être sur scène, et que ça demande énormément d’abandon et de confiance au metteur en scène. Et ils l’ont fait, je l’ai senti, très spontanément: ça m’a beaucoup touché."
Quel est le grand bonheur du travail de metteur en scène? Il réfléchit: "Quand tu es comédien, tu as une certaine responsabilité qui est de t’occuper de tes affaires; tu es dans ta cuisine. Metteur en scène, tu t’occupes de la cuisine de tout le monde; c’est le plus grand plaisir, mais la plus grande difficulté aussi. D’établir ce contact particulier avec l’acteur que tu dois laisser libre, mais que tu dois guider aussi."
Jusqu’au 21 octobre
Au Trident
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