Lynda Gaudreau : La quadrature du cercle
Scène

Lynda Gaudreau : La quadrature du cercle

Le prochain spectacle de Lynda Gaudreau, Document 2, est à la fois proche et loin de ce qu’elle nous a habitués à voir. Surprises en perspective.

Lynda Gaudreau

s’exprime à la vitesse d’un TGV comme si ses pensées allaient s’échapper avant même de les avoir prononcées. Toujours inquiète à l’idée d’être incomprise, elle vérifie à tout moment la clarté de son propos auprès de son interlocuteur. Une fois rassurée, la voilà aussitôt qui reprend le fil de son discours évidemment ailleurs que là où elle l’avait laissé. Qu’on ne s’y méprenne pas: la pensée de la chorégraphe québécoise est aussi structurée que sa danse, longtemps qualifiée de cartésienne ou d’architecturale. Son prochain spectacle, Document 2, est à la fois proche et loin de ce qu’elle nous a habitués à voir. Surprises en perspective.

La danse de Lynda Gaudreau fut longtemps associée à l’architecture du corps, à l’anatomie du mouvement. Ses dernières pièces (Still Life No 1, Document 1) mettaient l’accent sur les mains, les hanches, la tête et les jambes des danseurs. Or, la jeune femme semble vouloir se dissocier de la description d’anatomiste du corps qu’elle s’était pourtant forgée elle-même. "L’anatomie ne m’intéresse pas du tout, avoue-t-elle. Bien sûr, le fait de me décrire comme une anatomiste du mouvement a aidé le public à me situer. On se disait: elle travaille sur la peau, les mains, les jambes. En fait, je suis une chorégraphe qui se passionne pour le mouvement." Mais n’est-ce pas là le propre des chorégraphes? Elle précise: "Je me sens comme une abstraite qui se pose des questions sur la définition de l’abstraction ou comment rendre captivant un geste abstrait."

Aujourd’hui, son discours et sa manière d’aborder son art trahissent son appartenance à la danse européenne. Normal: depuis huit ans, elle fait la navette entre le Québec et l’Europe. Montréalaise d’adoption née à Sept-Îles et formée à la politique et à la philosophie, Lynda Gaudreau a évolué principalement en Belgique où, pendant des années, elle fut une artiste résidente du Klapstuk, à Louvain. La dernière année seulement, elle a passé plus de sept mois loin de chez elle. Ses dernières pièces ont tourné à Vienne, Berlin, et bientôt au Théâtre de la Ville de Paris.

Depuis deux ans, la jeune femme a en tête l’idée de bâtir une encyclopédie du mouvement, avec la collaboration d’artistes croisés sur sa route. Ainsi, dans Document 1, présenté lors de la dernière édition du FIND, le Québécois Benoît Lachambre avait interprété un solo personnel et un solo de la Belge Meg Stuart. Dans Document 2, la chorégraphe a convié deux ex-danseurs de la compagnie belge Rosas à chorégraphier pour ses danseurs Mark Eden-Towle et Sarah Doucet. "Au départ, je souhaitais faire une oeuvre de groupe. Mais comme je voulais travailler sur le temps et l’espace, je trouvais que mon projet convenait mieux à un duo."

À l’origine, Vincent Dunoyer devait être un danseur invité. Puis, Lynda Gaudreau lui a proposé de créer un solo sur la nudité même si celui-ci n’avait presque pas chorégraphié jusqu’à maintenant. "J’avais envie de voir quelque chose de lui à travers mes interprètes même si je savais que je perdais un super-performeur", dit-elle. Par ailleurs, la chorégraphe a suggéré à Thomas Hauert l’idée de construire une danse axée sur les jambes. "Je ne connaissais pas beaucoup Thomas. J’avais entendu parler en bien de son travail mais lui, il avait à peine entendu parler du mien…" Qu’à cela ne tienne, elle lui a demandé d’explorer l’improvisation, un concept dont elle connaît peu les rouages. "Il n’a jamais été question de commande entre nous, prévient-elle. J’ai invité Vincent et Thomas à venir travailler avec nous et tant mieux si ça marchait."

Évidemment, ça a cliqué entre les danseurs et les artistes invités. Cela dit, leur travail ainsi que la présentation d’un vidéo du Français Thierry de Mey ne constituent qu’une partie du spectacle; le reste provenant de l’imagination de Lynda Gaudreau. Comme à son habitude, elle s’est amusée à créer des séquences portant sur la tête, les hanches et surtout les mains. "Les mains, c’est tellement un langage expressif et universel." Sauf que cette fois-ci, elle a demandé aux danseurs de poursuivre leur recherche sur scène afin de donner plus de vie aux gestes. "Je veux voir Mark et Sarah en train de chercher la justesse du mouvement comme si c’était la première fois."

Finalement, Lynda Gaudreau entend poursuivre le projet Encyclopedia pendant encore des années. Son plus grand rêve: produire un spectacle uniquement basé sur les séries portant sur les mains ou une autre partie du corps. "Encyclopedia risque bien d’être mon projet de vie", dit-elle pour une fois calmement, dans un sourire lumineux.

Dans le cadre de la série Danses à l’Usine
Du 4 au 7 octobre
À l’Usine C