Délicieuse et intelligente : Arcadia
Scène

Délicieuse et intelligente : Arcadia

Une vaste salle aux hautes boiseries, une lourde table chargée d’objets et de livres. Nous voilà entrés dans la famille Coverly, dont les membres se répondent d’une époque à l’autre: de jeunes intellectuels du XXe siècle cherchent à comprendre certains événements survenus sur ces lieux mêmes, au début du XIXe siècle.

Suspense historique, Arcadia est aussi une comédie délicieuse et intelligente. Délicieuse, d’abord, par le plongeon qu’elle permet dans le monde élégant et suranné de l’aristocratie anglaise du XIXe siècle, dont les seules préoccupations sont celles de la beauté, de l’éducation et de l’amour, et par l’image qu’elle renvoie de notre époque assoiffée elle aussi de connaissance, dans une quête dont les limites sont constamment repoussées.

Délicieuse aussi par ses personnages, typés, amusants ou attachants, campés par des comédiens enjoués et habilement dirigés, qui savent les rendre "vivants", malgré certains traits qu’on souhaiterait un peu moins caricaturaux. On est ravi par la spontanéité et l’espièglerie de Thomasina Coverly (Véronika Makdissi-Warren), la sensualité naïve de Chloé Coverly (Anne-Marie Olivier), la poltronnerie et la crédulité d’Ezra Chater (Pierre-François Legendre), l’ironie et la finesse de Septimus Duncan (Jean-Sébastien Ouellette), pour n’en nommer que quelques-uns. Qu’ils soient du XIXe ou du XXe siècle, ces personnages forment une réjouissante galerie de caractères. Enfin, la pièce plaît par son humour, sa fine ironie dans les dialogues.

Arcadia est également une pièce pleine d’intelligence. Par la préoccupation constante de ses personnages avides de connaissance, ses références souvent érudites à la science et à l’art. Ingénieuse aussi par sa structure: du passé au présent, le lien se crée d’abord par le lieu et les objets, à travers la permanence de ce qui est matériel, et qui résiste à la marche du temps, comme le fait la connaissance. Puis les époques se rapprochent: gestes semblables, écho des idées et des mots. Enfin, elles se rejoignent: tous ces personnages, qu’un siècle et demi sépare pourtant, se ressemblent. On touche alors à l’essence de l’être humain: son désir de comprendre, son désir d’aimer et enfin, de durer, d’où son interrogation sur le temps et par là, sur la mort.

Dans Arcadia, les personnages sont charmants, le lieu, enchanteur, le texte, brillant. L’ensemble est maîtrisé avec aplomb par le metteur en scène Bertrand Alain, et donne un voyage en un pays gracieux, plein de sensualité délicate et de curiosité stimulante. Un seul regret: on aimerait parfois rembobiner ce texte dense pour réentendre tel passage particulièrement fin ou poétique.

Jusqu’au 21 octobre
Au Théâtre du Trident