Qui a peur de Virginia Woolf ? : La guerre des sexes
Scène

Qui a peur de Virginia Woolf ? : La guerre des sexes

Bien de l’eau a coulé sous le pont des couples depuis 1962, année de création de Qui a peur de Virginia Woolf?: libération sexuelle, taux de divorce endémique, psychologisme à tous crins, Janette Bertrand, Bill Clinton… Mais peu d’histoires de couples ont égalé en force la relation d’amour-haine liant les deux êtres déchirés imaginés par Edward Albee, à l’aube de la décennie de la révolution des moeurs et des bouleversements sociopolitiques.

Bien de l’eau a coulé sous le pont des couples depuis 1962, année de création de Qui a peur de Virginia Woolf?: libération sexuelle, taux de divorce endémique, psychologisme à tous crins, Janette Bertrand, Bill Clinton… Mais peu d’histoires de couples ont égalé en force la relation d’amour-haine liant les deux êtres déchirés imaginés par Edward Albee, à l’aube de la décennie de la révolution des moeurs et des bouleversements sociopolitiques.

Dans cette comédie noire et perverse, qui élève la chicane de ménage au rang d’oeuvre d’art, le dramaturge américain fait voler en éclats l’image respectable du couple, laisse couler le fiel et la rancoeur qui bouillent sous le masque de la "réussite", dénude la stérilité ultime d’un mode de vie. À travers le jeu destructeur, semé de fausses pistes et de mensonges, mené par George et Martha, Albee traite de vérité et d’illusion, et met à mort une chimère.

Entrés dans la légende grâce à cet autre couple fameux que formèrent Elizabeth Taylor et Richard Burton à l’écran, George et Martha s’incarnent ces jours-ci au Rideau Vert sous les traits de Louise Marleau et de Raymond Cloutier, dans les mots directs de Michel Tremblay (au début, les accents des deux interprètes semblent se promener quelque peu entre la langue familière et une plus soutenue…).

Ressassant leurs éternels griefs, Martha et George sont comme deux belligérants qui, forts des nombreux combats passés, savent exactement où frapper. À coups de mots cruels et de révélations douloureuses. Cette nuit-là, alors que la soirée s’étire jusqu’au petit matin et que l’alcool fait son oeuvre, le prof d’histoire et sa provocante épouse offrent un spectacle décadent à leur jeune couple d’invités (Patrick Lauzon, juste mais plutôt pâlot, et Pascale Desrochers, dans un numéro bien rodé d’ingénue qui, à défaut d’être très nouveau pour elle, soulève les rires…). Beau petit couple propret qui, à mesure que les verres s’accumulent, voit lui-même s’effriter sa parfaite image…

Outre la puissance intrinsèque du texte, qui n’a guère pris de rides (on y discute même d’eugénisme et de manipulation génétique, opposant visions historique et biologique), le spectacle mis en scène par Martin Faucher – qui effectue ici ses premiers pas pour la compagnie dirigée par Mercedes Palomino – vaut surtout pour le retour en force, après plusieurs années d’absence de la scène, d’une comédienne accomplie. Menue en taille mais non en tempérament, Louise Marleau arrache le spectacle à la tiédeur étudiée qui le menaçait. La comédienne nous rappelle, si on l’avait oublié, qu’elle a du chien. Et surtout, sa vulnérabilité émeut dans les moments où Martha rentre enfin ses crocs, quand toutes les armes de la guerre conjugale ont été épuisées.

Le retour sur les planches de son partenaire, Raymond Cloutier, est hélas moins convaincant. L’acteur reste un peu en deçà d’un personnage qui semble plus ou moins lui convenir. Un peu mou, inégal, son George ne transcende guère le bouffon cynique que ce "clown au dos courbé" joue en surface. Et il faut dire qu’en général, il paraît manquer un niveau de mordant, une précision cinglante à ce long spectacle, honnêtement monté mais qui ne marquera pas l’histoire de la pièce. La "guerre" aura plus ou moins eu lieu…

Jusqu’au 21 octobre
Au Théâtre du Rideau Vert