Alexis Martin : Territoire en marge
Scène

Alexis Martin : Territoire en marge

C’est l’absurdité de la situation d’un territoire en marge, son sentiment d’isolement, que met en exergue Hristo Boytchev dans sa "comédie noire" Le Colonel Oiseau, qu’on pourra découvrir au Quat’Sous la semaine  prochaine.

La dramaturgie bulgare, vous connaissez? Hum… Qui peut se vanter, ici, de vraiment connaître la Bulgarie, ce petit pays est-européen coincé entre la Yougoslavie et la Grèce, qui a le malheur d’être perdu au fond des tumultueux Balkans? C’est l’absurdité de la situation d’un territoire en marge, son sentiment d’isolement, que met en exergue Hristo Boytchev dans sa "comédie noire" Le Colonel Oiseau, qu’on pourra découvrir au Quat’Sous la semaine prochaine.

Bien connu en Bulgarie, où il a signé sept pièces et s’est présenté, par dérision, candidat à l’élection présidentielle, l’auteur a écrit cette fable politique en 95-96, pendant que la Bulgarie vivait son premier vote libre. Et que la Serbie voisine était livrée à la folie de la guerre. Alexis Martin y incarne un jeune médecin affecté à la direction d’un asile logé dans un ancien monastère perdu dans la montagne. Il y découvre une demi-douzaine de doux cinglés abandonnés à leur sort, sans vivres ni chauffage. Jusqu’à ce que leur tombe du ciel un cadeau inespéré: des colis de l’ONU déchargés là par "erreur" – ou par méconnaissance des Balkans, considérés comme une région indifférenciée…

Menés par le plus fêlé d’entre eux, un ancien colonel qui les enrôle dans un jeu militaire, les malades s’autoproclament troupe auxiliaire des Casques bleus! Ces marginaux sont animés par un rêve fou: aller réclamer leur place au sein de l’OTAN et du Parlement européen…

"C’est comme s’ils disaient: on veut appartenir à l’Europe, on veut rejoindre le monde civilisé, précise Alexis Martin. Parce que les Balkans, on dirait une région presque damnée. J’ai l’impression que c’est le bout du monde pour les Européens, qui considèrent qu’il n’y a rien à y comprendre, de toute façon, et qu’on doit la laisser à sa misère… C’est peut-être ce sentiment désespérant que les Bulgares ressentent parfois. Je pense qu’il y a aussi un commentaire sur la situation du pays à la fin du communisme, avec la désagrégation du filet social, alors que les gens sont un peu abandonnés à eux-mêmes. C’est une fable sur l’absurdité de la situation des Balkans, sur l’isolement, qui raconte la fuite des Bulgares vers ailleurs."

L’interprète se dit ravi d’y travailler aux côtés de "cinglés intéressants", tels que Patrice Coquereau, Stéphane F. Jacques, Paul Savoie, ou Miro, sous la commande du comédien Peter Batakliev, lui-même originaire de Bulgarie, qui leur ouvre les portes de la psyché bulgare. "Pour nous, Québécois, c’est très loin, mais c’est passionnant de découvrir un univers culturel différent. Moi, j’ai trouvé ça très touchant. C’est pas un texte à tout casser au niveau du style: c’est la fable qui est magnifique dans sa simplicité et son humanité, avec une galerie de personnages très attachants."

Cette espèce de "Vol au-dessus d’un nid de coucous balkanique" offre aussi une allégorie un peu acide sur l’absurdité de l’Europe en voie d’unification. "C’est une pièce très actuelle sur l’idée de l’Europe: qu’est-ce que ça représente, l’Europe? C’est, au fond, une tentative gigantesque et folle de dire: nous formons un continent et un pays. Mais l’Europe existe-t-elle? Il y a là une tentative de transcender les identités nationales, dans un continent où elles sont les plus affirmées au monde, et de créer une entité. C’est une grande aventure, et j’imagine que ça va prendre le XXIe siècle pour résoudre le problème, car ils ne sont pas sortis du bois."

Entre un spectacle du NTE portant sur l’Histoire (Transit – section no 20) et un autre en préparation sur Hitler, Alexis Martin baigne dans une veine historico-politique depuis une couple d’années. "Pour moi, la vie est politique, au fond, explique-t-il. Le politique, au sens large, c’est quoi? L’espace commun, le fait de vivre ensemble. Pour moi, c’est la chose la plus passionnante au monde. C’est à travers le politique que se révèlent les caractères humains. Le Colonel Oiseau, c’est une belle histoire où l’on peut s’attacher à des personnages, tout en étant confronté à la réalité de l’espace public: comment on fait pour habiter cette terre-là ensemble? La chose publique, ça concerne éminemment le théâtre."

Du 23 octobre au 2 décembre
Au Théâtre de Quat’Sous
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