Carmen : L'amour à Rio
Scène

Carmen : L’amour à Rio

Les Grands Ballets Canadiens lancent leur saison avec une nouvelle version dansée de Carmen, qui veut en finir avec les clichés autour de la célèbre amoureuse.

"Dès que tu demandes, dans la rue, qui est Carmen, on répond que c’est une aguicheuse, cheveux longs, en jupe rouge… avec des castagnettes! J’ ai voulu sortir de ces clichés!" déclare Didy Veldman, la danseuse-chorégraphe d’origine hollandaise qui a signé à Londres, une toute nouvelle version dansée de la célèbre tragédie.

Ce spectacle, qui lance la saison des Grands Ballets Canadiens, la chorégraphe l’a situé au Brésil. L’action se déroule à notre époque, et mêle le rock et la vidéo. Escamillo, le flamboyant toréador, est une rock star. "On a choisi le Brésil parce qu’on voulait un endroit où il fait chaud, où il y a des usines, des ouvriers, des gens riches aussi. Ce que je désire, en transposant cette histoire archiconnue, c’est qu’on retrouve les émotions de Carmen. Je pense que ça aide, pour qu’on s’attache à elle".

Depuis toujours, de l’opéra aux nombreux films sur le sujet, sans oublier bien sûr la base, la nouvelle de Prosper Mérimée, il y a un "débat" sur le personnage de Carmen, à savoir s’il s’agit d’une femme absolument libre, droite parce que foncièrement sincère, ou une sournoise manipulatrice, amorale, vile séductrice (agace quoi!). Qu’est ce qu’il y a de plus à faire valoir aujourd’hui? "Que c’est une histoire très actuelle! Carmen, c’est juste une femme qui tombe amoureuse souvent, comme plusieurs à notre époque, et qui, après avoir couché avec le gars, n’en a plus envie. Elle cherche autre chose. Ce n’est pas une pute. Mais elle est fascinée par Escamillo, qui est puissant, qui est une vedette et qui possède la gloire. Et ça, c’est tout à fait notre monde! Je ne la juge pas, c’est humain. J’observe, c’est partout pareil!".
Je soumets à la chorégraphe qu’à part l’héroïne du film de Rosi, ce qui fait problème avec Carmen, c’est qu’elle n’est jamais véritablement sexuelle, que "ça" ne passe pas. Didy Veldman, qui a fait ses devoirs, nuance mon propos. "En relisant Mérimée, je me suis rendu compte que la sexualité de Carmen est beaucoup plus développée dans l’opéra. En fait, dans le roman, elle est surtout charmante, avec un côté femme-enfant. Elle joue des rôles, tout à tour timide et dominatrice. J’ai préféré aller dans ce sens-là".

Le spectacle, conçu pour le Northern Ballet Theatre de Grande-Bretagne, nous arrive après avoir tenu l’affiche à Londres durant un an et demi. Un énorme succès. La chorégraphe, les décors et les costumes ont fait le voyage, mais ce sont nos danseurs qui créeront ici le ballet. Comme le veut l’usage, il y aura trois distributions. Geneviève Guérard, Amanda Michelle Cyr, Lisa Davis seront les Carmen en alternance. Didy Veldman est venue au Québec cet été durant six semaines, pour choisir les danseuses et travailler avec elles. "Elles sont très différentes. Jeunes, par rapport à celles de Londres. Elles n’ont peut-être pas tout le bagage de vie… Mais Geneviève est très subtile, belle, et probablement qu’elle a déjà su jouer avec ça, alors elle est parfaite!" ajoute Didy, souriante, dans le joli français qu’elle a appris en Suisse. "Lisa, quant à elle, peut être froide et, tout d’un coup, très rigolote, explosive, et c’est ce qu’il faut. Amanda, elle, a un jeu incroyable! Elle est distante, comme une chatte. Ça pourrait être intéressant, si l’on se passionne pour ce rôle, de venir voir les trois."

Qu’a pu ressentir la chorégraphe en travaillant avec les danseurs des Grands Ballets? "À Londres, les danseurs sont aussi des acteurs, ici moins. Ils ont dû apprendre, travailler un peu plus, mais ils étaient très motivés! Ils ont montré beaucoup d’enthousiasme, je les ai sentis excités par cette expérience. Cela a juste demandé un peu plus de temps, c’est tout. Par contre, techniquement, je les ai trouvés supérieurs. Alors j’ai utilisé leurs possibilités, qui sont plus grandes, ce qui permet de ne pas copier ce qu’on a fait à Londres… Et puis, je trouve qu’ici les danseurs sont mieux traités. Les conditions de travail sont meilleures, il y a moins de compétition; c’est un peu plus confortable, on respire mieux."

Le spectacle, qui illustre très bien la volonté de Gradimir Pankov, nouveau directeur artistique des Grands Ballets Canadiens, de brasser un peu la cage, et d’élargir les horizons, sortira de Montréal (salle Maurice O’Bready, à Sherbrooke le 8 novembre; le CNA à Ottawa, le 11 novembre). Mieux encore, c’est la troupe des Grands Ballets Canadiens qui, au printemps, ira présenter la Carmen brésilienne… au Brésil!

Du 19 au 28 octobre
Au Théâtre Maisonneuve
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