Propagande : Ceci n'est pas une pub
Scène

Propagande : Ceci n’est pas une pub

Avec sa deuxième pièce, Stéphane E. Roy a voulu jeter "un regard sarcastique sur le milieu de la publicité". Il nous livre plutôt les pénibles états d’âme d’un fils de pub rempli de contradictions. Dommage.

Le buzz était pourtant bon autour de Propagande. Ce n’est pas tous les jours qu’un créatif d’une agence de pub ouvre les portes de son bureau pour nous dévoiler les hauts et (surtout) les bas de son métier. Un métier? Plutôt une religion qui fait tourner la planète consommatrice: le merveilleux monde de la pub.

D’ailleurs, pour un show autogéré signé par un auteur inexpérimenté, Propagande a eu droit à une bonne campagne de promotion et à une excellente couverture dans les médias. Beaucoup d’attentes entouraient donc la production de la deuxième pièce de Stéphane E. Roy (La Capitulation), à l’affiche depuis jeudi dernier, à la salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui. Roy, un ancien publicitaire chez Cossette, devrait savoir que lorsque les attentes sont grandes, il faut livrer la marchandise. Hélas, avec Propagande, le jeune dramaturge ne dénichera pas de nouveaux clients…

Ce n’est là qu’un des paradoxes de Propagande. L’auteur parle de sa pièce comme "d’un regard sarcastique sur le monde de la publicité", mais il refuse de condamner ce milieu (alors que le théâtre, d’Antigone aux Belles-Soeurs, est l’art de la révolte). Il a créé une comédie dont le deuxième acte, une sérieuse confession d’un homme qui se défend de vendre son âme au diable et à l’argent, provoque très peu de rires dans la salle. Il a écrit une fable urbaine et branchée (la mission de sa compagnie est "de faire cohabiter le grotesque et le sublime"), mais ses dialogues sont d’un réalisme aussi plat qu’une tranche de vie téléromanesque.

Comble du paradoxe, il avoue, par la biais d’un de ses personnages (la pièce est truffée d’autoréférences), que "c’est prétentieux de penser avoir quelque chose à dire pour écrire une pièce ou un livre"! Tiens, votre attachée de presse nous a affirmé le contraire au téléphone…

Au départ, le concept du show est plutôt séduisant: la petite salle Jean-Claude Germain est transformée en agence de pub (le décor est signé Jean Hudon, qui a aussi bossé chez Cossette). Une réceptionniste accueille les spectateurs à l’entrée. Ces derniers sont assis sur des véritables chaises de bureau. Et les comédiens sont déjà sur place en train de vaquer aux occupations des personnages.

Survient Sébastien Moreau (Roy), "le meilleur publiciste à Montréal", qui a fondé avec François Moreau (Normand Helms) l’agence VTFV (Va te faire voir) avec "la mission de faire grandir les marques et les logos des clients, par une publicité audacieuse, pertinente et sans compromis". Sébastien semble parfaitement heureux dans la peau du directeur de la création jusqu’au moment où on va lui demander de signer la campagne du Non au prochain référendum. Stupeur et stupéfaction, le publiciste est souverainiste et membre du Parti québécois! Mais il acceptera de concevoir la publicité des fédéralistes allant à l’encontre de ses convictions. Car en pub, la seule croyance, bien sûr, c’est celle de satisfaire le client.

Durant le premier acte, la pièce navigue entre la caricature de la politique canadienne et les clichés du monde de la pub: les deux solitudes canadian, la guerre entre Montréal et Toronto dont sont victimes les créatifs québécois; la dope, les pitounes, l’arrivisme, etc.). Roy fait aussi un clin d’oeil au placement marketing, en exhibant ici et là au cours de la représentation les marques de produits populaires. Un bon flash qui s’épuise rapidement.
Le deuxième partie nous montre les résultats de la campagne de pub et les conséquences sur les idéaux de Sébastien. Dans une scène longue et peu crédible, le jeune loup de la pub est confronté aux valeurs communautaires de son ex-blonde (une granola écolo centrée sur sa bioénergie) qui lui fait la morale. Au revoir le regard sarcastique, on subi les états d’âme et les angoisses de l’auteur.

Si la publicité est l’art de la concision, Roy semble avoir oublié la leçon tellement ses scènes sont inutilement longues et extrêmement prévisibles. Manifestement, le créateur porte trop de chapeaux. En plus du texte, il signe la mise en scène, se produit et joue le rôle principal. Un autre metteur en scène aurait pu lui suggérer des coupures, s’occuper du casting et dirigé les acteurs qui sont, ici, cruellement laissés à eux-mêmes. En fait, seul Normand Helms arrive à composer un personnage solide en s’appuyant sur une technique de jeu qui semble faire défaut aux autres comédiens.

Stéphane E. Roy avait pourtant un sujet en or. Adulée par les uns, décriée par les autres, la publicité déclenche bien des polémiques ces temps-ci. Il y a bien sûr 99 Francs, le roman de Frédéric Beigbeder. Également ex-publiciste, Beigbeder critique le milieu de la pub en France et condamne la société de consommation en général. "Bientôt les pays seront remplacés par des entreprises. On ne sera plus citoyens d’une nation mais on habitera des marques: on vivra en Microsoftie ou à McDonaldland; on sera Calvin Kleinien ou Pradais", écrit-il à la fin de son bouquin.

Dans le dossier de presse de Propagande, on a glissé un extrait d’une chronique de Pierre Foglia sur ces "putes de génie" que sont les concepteurs de pub. Le journaliste résume en une phrase ce que Roy n’arrive pas à faire en deux heures et demi. "Tout le paradoxe de la pub est dans cette antinomie: le plus pétillant des flashs pour annoncer le plus balourd de produits."

C’est peut-être de ce genre de contradictions que l’auteur et ex-publiciste aurait pu traiter avec un peu plus de profondeur dans sa comédie. Malheureusement, sa pièce reste platement anecdotique et sa charge ressemble à un coup d’épée dans l’eau.

Jusqu’au 4 novembre
À la salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui
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