Territoire : Jouer dur
Scène

Territoire : Jouer dur

Indigné par la mort affreuse de Richard Barnabé, qui a sombré dans le coma après avoir été roué de coups par cinq policiers, Patrice Dubois a choisi d’inventer une suite à cette terrible histoire, une revanche fictive dans laquelle les proches d’une victime de brutalité policière se transforment en bourreaux le temps de "faire la job" à celui qui a initié la terrible bavure.

Indigné par la mort affreuse de Richard Barnabé, qui a sombré dans le coma après avoir été roué de coups par cinq policiers, Patrice Dubois a choisi d’inventer une suite à cette terrible histoire, une revanche fictive dans laquelle les proches d’une victime de brutalité policière se transforment en bourreaux le temps de "faire la job" à celui qui a initié la terrible bavure. Est-ce une coïncidence? Alors que l’engagement des jeunes fait l’objet d’un Sommet organisé par le Théâtre du Grand Jour (voir page 6), Territoire démontre que le théâtre engagé a toujours sa place sur les planches montréalaises.
Cette tragi-comédie percutante est aussi éclatante et haute en couleur qu’ont la réputation de l’être les habitants du Lac-Saint-Jean, où Dubois a situé l’action. Avec leur "parlure" du Lac et leur sens aiguisé de l’humour, les personnages imaginés et mis en scène par le cofondateur de la compagnie Janvier Toupin Théâtre d’Envergure sont aussi bizarres qu’attachants. Ils rappellent les jeunes revendicateurs imaginés par Olivier Choinière dans Autodafé, sauf que cette fois, leur cause est plus sociale que politique.

Mis à l’ombre pour avoir incendié une terre, Pierrot (Daniel Desjardins) revient dans son village pour les obsèques de son meilleur chum, Dave, décédé des sévices que lui a infligés un représentant de l’ordre (Richard Lemire). Il en profitera pour tenter de briser le silence qui entoure le drame et orchestrer, avec Mélanie (Marie-Joanne Boucher), enceinte du défunt, et son frère (Claude Gagnon), une expédition punitive chez l’affreux moustachu et sa mère aveugle (Marie-Claude Gamache). Autour de Pierrot gravitent aussi Suzie (Christiane Proulx), belle-mère passive qui n’a rien fait pour empêcher la mort de Dave, et Garo (Michel Mongeau), un magicien qui a troqué le haut-de-forme pour la bouteille.

Les interprètes dirigés avec justesse par Patrice Dubois offrent, dans l’ensemble, une belle performance. Malgré son physique imposant, Daniel Desjardins (le Chico de Full Blast) campe un Pierrot effacé, moins démonstratif que ses compagnons d’infortune. Plus extroverties, Marie-Joanne Boucher fait preuve d’un aplomb étonnant tandis que Christiane Proulx incarne avec une belle fragilité la pauvre Suzie, qui préfère parler de ses "boules refaites" que de la mort de Dave… Claude Gagnon provoque l’hilarité en hyperactif fêlé, tandis que Michel Mongeau (l’ancien animateur de 275-allô) émeut en ex-prestidigitateur dont le lapin et les colombes ont été mis à mort par des soûlons…

Les comédiens se démènent dans un espace noir quasi vide, dont le plancher comporte une grande trappe rectangulaire. Plus que ce décor minimaliste, c’est l’excellente musique de Jean-Frédéric Messier qui habite la scène et fait naître les ambiances, ainsi que, dans une moindre mesure, les airs de violon interprétés par Marie-Claude Gamache.
Malheureusement, la création de Patrice Dubois perd du rythme en fin de parcours. Fini, les expressions typiques et les répliques teintées d’humour: l’auteur se livre à une très sérieuse surenchère d’explications, avant que ses personnages appliquent la loi du talion avec un sadisme peu crédible.

Malgré cette finale verbeuse, Territoire s’avère au bout du compte une création réussie, qui sonne presque autant qu’un coup de matraque…

Jusqu’au 11 novembre
À La Licorne