Scène

Danses à l’Usine : En pièces détachées

Avec cinq spectacles inédits signés pour la plupart par des chorégraphes parmi les plus prometteurs de la scène canadienne, la série Danses à l’Usine aura été l’un des grands moments de la rentrée culturelle. Bilan très positif.

Produite par la direction artistique du Festival international de nouvelle danse, la série Danses à l’Usine aura fait des heureux: cinq spectacles inédits signés pour la plupart par des chorégraphes parmi les plus prometteurs de la scène canadienne. La grande force de l’équipe du FIND, c’est d’avoir préparé une programmation capable de plaire aux initiés comme aux amateurs occasionnels et, surtout, de susciter toutes sortes de réactions sauf l’indifférence. Lors de chaque soirée, il régnait dans le hall de l’Usine C une telle atmosphère qu’on avait toujours l’impression d’assister à un événement.

Le spectacle d’ouverture de Benoît Lachambre, Confort et Complaisance, a sans doute été celui qui a soulevé le plus de controverse. L’un des buts du chorégraphe se résumait à inciter le spectateur à se questionner sur son rapport avec l’action sur scène. Vrai que son objectif a été atteint, mais à quel prix? Une heure durant, le public a eu droit à des scènes disgracieuses qui rappelaient, pour certains, l’époque de la performance des années soixante-dix. Benoît Lachambre a beau dire qu’il ne cherche pas à provoquer, mais alors comment trouver supportable cette séquence où un danseur nu sous un manteau de fourrure tire une interminable ficelle de l’entrefesse d’un autre danseur? Mais le plus étrange, c’est qu’on y dansait très peu. Dommage, car les passages les plus intéressants venaient de déplacements de groupe, alors qu’une certaine grâce se dégageait des mouvements.

Benoît Lachambre nous avait habitués à des atmosphères étranges desquelles découlaient des moments touchants. Mais cette fois-ci, à trop vouloir bousculer les habitudes du public, le chorégraphe a provoqué de l’exaspération et du dégoût, ou de l’amusement et de la fascination; mais bien peu d’enchantement.

Mouvements perpétuels
À l’opposé de Benoît Lachambre, Lynda Gaudreau a proposé dans Document 2 une danse abstraite, ciselée, dynamique et surtout captivante. Comme à son habitude, elle a conçu des mouvements pour des parties du corps, comme les jambes ou les mains, dont elle a amplifié les bruits en installant des micros sur le corps des danseurs. L’effet fut saisissant. La chorégraphe québécoise, qui a surtout évolué en Belgique, a invité ses collègues Vincent Dunoyer et Thomas Hauert à lui créer de courtes pièces, lesquelles s’inscrivaient naturellement dans l’oeuvre de Gaudreau. Elle a également intégré le court film de Thierry de May, Musique de tables, une passionnante chorégraphie axée sur le mouvement rapide des mains. À revoir.

Spectacle attendu, Vol d’âme de Jocelyne Montpetit a sans doute ravi ses admirateurs. S’inspirant de la noyée Ophélie dans Hamlet de Shakespeare, l’artiste livrait une interprétation nostalgique et tout en douceur visant à transformer le corps en une âme. Une tâche pour le moins ardue, dont l’effet pervers se traduisait par l’impression d’avoir affaire à quelque chose d’insaisissable, parfois difficile à apprivoiser. Encore une fois, l’artiste de lumières Axel Morgenthaler lui avait conçu une scénographie et des éclairages magnifiques qui se fondaient de façon magique avec les mouvements de la danseuse. S’il a donc su reproduire d’intéressantes ambiances aquatiques, il n’a pu résister à quelques extravagances artistiques, esthétiques certes, mais qui reléguaient parfois la danse de Montpetit au second plan.

Difficile de dire si c’est l’interprétation d’Holy Body Tattoo, ou les images léchées de William Morrison, ou encore les chansons nostalgiques du groupe britannique The Tigger Lillies qui ont rendu Circa si émouvant. Sans doute tout ça à la fois. La troupe de Vancouver, qui s’est fait connaître à travers une danse violente et répétitive, est revenue nous visiter avec une gestuelle empruntée au tango. Le duo n’a pas pour autant renié son ancien langage, mais il a su y intégrer une profondeur et une sensualité absentes des précédentes pièces. De toute la programmation de Danses à l’Usine, la chorégraphie d’Holy Body Tattoo restait la plus accessible.

Finalement, le jeune Français Boris Charmatz bouclait la série avec une expérimentation pour le moins inusitée. Trois danseurs, isolés chacun sur un étage d’une tour en métal, ont livré pendant une vingtaine de minutes une performance énergique et violente. Sauf au moment de l’entrée du public, où les danseurs se réchauffaient sur une musique tonitruante, le reste de la performance s’est déroulé en silence. Les danseurs vêtus uniquement d’un t-shirt alternaient les mouvements d’abandon et de tension. Le plus difficile n’était pas leur nudité crûment exposée mais de les voir se jeter par terre avec violence. Dérangeant.