David Boutin : La règle du jeu
Avec la confiance du conquérant, le comédien DAVID BOUTIN s’apprête à entrer dans la peau de l’immortelle figure du répertoire: Dom Juan. Un grand rendez-vous pour un jeune acteur qui a le vent dans les voiles.
Sur les affiches qui placardent la ville, la nouvelle incarnation montréalaise de Dom Juan a la stature altière, l’oeil narquois et frondeur, une allure cool avec sa chevelure libre; un peu la tête d’un jeune Christophe Lambert à qui on aurait greffé un regard intelligent. Un conquérant.
Celui qui s’apprête ainsi à entrer dans la peau de l’immortelle figure se nomme David Boutin. Un comédien de 30 ans révélé par Trainspotting, et qui a fait ses débuts plus classiques au TNM, il y a deux ans, en interprétant Tybalt dans Roméo et Juliette. Dans la pièce de Molière (aussi mise en scène par Martine Beaulne), David Boutin
formera un couple contrasté avec Benoît Brière, interprète du valet Sganarelle. Isabelle Blais incarnera son Elvire, la digne épouse délaissée; tandis que Raymond Legault campera le père bafoué.
L’une des pièces-maîtresses de Molière, Dom Juan aura connu un destin singulier. C’est un dramaturge outré – son Tartuffe est frappé d’interdiction, sous les pressions des dévots – qui se lance dans l’écriture de la pièce en 1665. Revisitant un grand mythe espagnol du 17e siècle, son oeuvre se pare de couleurs à la fois comiques et tragiques. Un manque d’unité classique qui lui vaudra d’être longtemps occultée. Jusqu’à la grande mise en scène de Louis Jouvet en 1947, qui en révéla toute la valeur.
Engagé dans une furieuse cavale à travers la Sicile, Dom Juan sème les femmes séduites et les ennemis outragés sur son passage. Entraînant à sa suite son pauvre Sganarelle, ce seigneur, en révolte contre les interdits, défie Dieu et l’ordre établi…
"Quand on dit Dom Juan, la plupart des gens pensent à un tombeur, relève David Boutin. C’est un aspect du personnage, mais il n’est pas limité à ça dans la pièce. Après le deuxième acte (il y en a cinq), on ne parle plus de la dimension de séduction. Le fait amoureux intéresse Dom Juan – il veut savoir pourquoi ça fonctionne comme ça -, mais son questionnement est aussi grand par rapport à l’honneur, à la foi, aux règles sociales… C’est un rôle à la palette assez large, très riche, parce qu’il va dans beaucoup de directions différentes."
Un libre penseur
Pour le comédien, Dom Juan est d’abord un libre penseur, "en quête de connaissances, de vérité, de liberté". "C’est un homme qui n’accepte pas d’emblée les règles, les systèmes de pensée. Et il cherche constamment à pousser plus loin, à se questionner sur le pourquoi des choses, sur comment on vit; à se demander pourquoi on devrait dire que certaines règles sont inébranlables. À la limite, il va séduire pour provoquer un questionnement, mettre un doute dans la tête des gens qu’il croise sur sa route. Ils débarquent avec leur système de pensée, et chaque fois, Dom Juan va chercher à mettre une faille là-dedans, à l’ébranler. Il veut semer le doute, le grain de sable… C’est un poseur de grains de sable…"
Une attitude qui n’est pas sans séduire David Boutin. Le comédien se reconnaît dans ce désir de ne jamais tenir les choses pour acquis. À l’instar de son personnage, il croit que mieux vaut vivre dans l’inconfort du doute et de la remise en question, plutôt que de s’emmitoufler douillettement dans ses certitudes, sans grandir.
Une réflexion toujours pertinente… "Il y a quand même énormément de gens qui vont à travers la vie sans se poser de questions. Encore à notre époque, certains se contentent de peu, ne cherchent pas à aller plus loin. C’est aussi ce qui provoque Dom Juan: comment peut-on vivre sans chercher à comprendre ce qu’il y a autour de nous? Sachant qu’on va mourir un jour, qu’est-ce qu’on fait avec notre vie? Est-ce qu’on essaie d’être conscient, au moins? Cet homme, constamment en action, en recherche, entretient une espèce de mépris pour l’attitude de ces gens qui ne cherchent pas à évoluer, qui acceptent les règles sans remettre en cause leur bien-fondé."
Ultimement, la course du libertin va jusqu’à embrasser une confrontation souhaitée avec la mort, comme si une connaissance globale de l’expérience humaine devait aussi passer par là. Par cet affrontement avec notre finalité, inscrite en nous depuis la naissance.
"Pour savoir entièrement ce que c’est qu’être humain, peut-être… Contrairement aux autres personnages, restés dans leur schéma de pensée, Dom Juan a continué à avancer. Il est allé au bout de cette quête de la connaissance. Au bout du compte, c’est la plus grande liberté."
Opération séduction
Si Dom Juan séduit – et il charme "tout le monde, pas seulement les femmes" – , c’est par ses idées. "Sa première arme, ce sont les mots, remarque David Boutin. Il y a une musicalité à trouver dans la langue de Molière, elle est pleine d’images, très jouissive à dire. Magnifique. Certaines phrases font six lignes, charrient deux, trois idées. Il faut arriver à ce que tous les propos soient clairs dans notre tête afin de rendre ça limpide pour le public, alors que la phrase peut parfois être un peu tarabiscotée. Il y a un beau défi là, pour la maîtriser, la mater, la faire sienne."
David Boutin est le quatrième à endosser le manteau du grand séducteur dans l’histoire du TNM. Ses prédécesseurs étaient des comédiens à l’aura plutôt classique (Jean Gascon en 1954, Léo Illial en 1979, et Albert Millaire en 1987). Depuis sa sortie de l’École nationale de théâtre en 1996, le hasard a voulu que David Boutin fasse surtout valoir son charisme, son intensité, dans l’univers du théâtre en marge (la longue aventure de Littoral, notamment, qui devrait connaître un bel enterrement au Liban en février), et qu’il ait joué plus de petits bums que de jeunes premiers classiques. … Parmi les rôles qui se sont succédé sans temps morts, entre autres "beaux projets", on retiendra notamment son hallucinante composition de paumé dans Trick or Treat, et son junkie de Trainspotting.
On se dit qu’il doit être nerveux à l’idée de s’attaquer à l’un des grands rôles du répertoire. Or le jeune comédien dégage une assurance impressionnante, garde la tête sur les épaules. "Il y a beaucoup de médiatisation autour de Dom Juan, constate-t-il. Le TNM est quand même fort là-dessus. Tu en vois des affiches, on en parle… Une grande attente est créée. Mais il faut se dire: moi, je n’ai pas à prendre ça. C’est sûr que quand tu vois ta face partout en ville, que les gens viennent te dire: "On a hâte de voir ça, ça a l’air que ça va être ben bon… ", une pression s’installe. Mais je pense qu’on a le choix de la laisser nous écraser ou de nous en débarrasser psychologiquement; de se battre continuellement pour ne pas l’endosser. Sinon, tu joues en fonction de plaire. Alors que l’objectif premier, c’est de raconter l’histoire le mieux possible."
David Boutin rappelle que "ça doit rester un jeu". Le plaisir est le mot d’ordre qui le motive dans son métier. "Il faut tout le temps se rappeler que c’est un jeu. Dès que les acteurs ont du plaisir, les spectateurs ont déjà le goût de les écouter. Mais il faut que tu y croies, que tu t’amuses à jouer sérieusement."
Du 7 novembre au 3 décembre
Au Théâtre du Nouveau Monde
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