Le Colonel Oiseau : Éloge de la folie
La folie est-elle créatrice? Les artistes canalisent-ils leur folie dans leur art? D’Émile Nelligan à l’événement Symfolium, en passant par Antonin Artaud, le rapport entre la folie et la création artistique est un thème vaste et très riche.
Nous naissons tous fous. Quelques-uns le demeurent.
Samuel Beckett, En attendant Godot
La folie est-elle créatrice? Les artistes canalisent-ils leur folie dans leur art? D’Émile Nelligan à l’événement Symfolium, en passant par Antonin Artaud, le rapport entre la folie et la création artistique est un thème vaste et très riche. Avec sa pièce Le Colonel Oiseau, à l’affiche du Théâtre de Quat’Sous depuis la semaine dernière, Hristo Boytchev explore à sa façon ce parallèle.
À l’heure où l’Union européenne vit de profondes mutations et s’apprête à accueillir une douzaine de nouveaux membres parmi des pays d’Europe centrale et orientale, l’auteur bulgare a écrit une touchante fable politique sur la grandeur et les misères des Balkans. Mais aussi une ode aux rêves, à la liberté, et au poids de l’imaginaire.
Créée en 1997, au lendemain de la guerre en Serbie et de la première élection libre en Bulgarie, après la chute du régime communiste, cette comédie satirique met en scène une demi-douzaine de joyeux cinglés abandonnés dans un asile en ruine (un ancien monastère perdu dans les montagnes des Balkans). Un jeune psychiatre (Alexis Martin, toujours juste) est envoyé pour superviser cet asile. Il attend impatiemment qu’on lui fournisse vivres et médicaments. Puis, un jour, un cadeau leur tombe du ciel: des colis lâchés accidentellement par les avions de l’ONU.
Affublés de vêtements des Casques bleus, les patients se transformeront en soldats, sous les ordres d’un ex-colonel (Paul Savoie, excellent), pour joindre les rangs. Le médecin observe avec intérêt leur petit jeu militaire qui les mènera jusqu’au Parlement européen à Strasbourg, où ces curieux personnages chercheront leur salut dans la reconnaissance de l’OTAN!
"J’ai très peur. Tout le monde est prêt à suivre le meneur qui apparaîtra comme l’homme providentiel", a confié au journal Le Monde le dramaturge qui était à Montréal, la semaine dernière, pour assister à la première de la production du Quat’Sous. Tout le monde attend son Messie. Surtout dans cette région du globe condamnée au tragique et au désespoir.
Après un début un peu au ras du sol, le spectacle prend son envol avec l’arrivée du colonel. On suit alors le joyeux délire de ces personnages qui décident de vivre leurs rêves pour mieux oublier leur chienne de vie. La métaphore tant politique qu’artistique fonctionne à merveille, car leur histoire devient universelle.
Les divers tableaux de la mise en scène de Peter Batatkliev se succèdent avec efficacité. Il faut dire que ce dernier a pu compter sur une distribution talentueuse. Outre Paul Savoie et Alexis Martin, Miro (un des comédiens les plus atypiques et solides de la génération montante) insuffle une étrangeté à son personnage de cleptomane; Patrice Coquereau s’avère toujours aussi comique et Stéphane F. Jacques est d’une belle sensibilité,
Deux découvertes: l’excellent comédien d’origine salvadorienne, Léo Argüello, qui a une bouille attachante; et une actrice bulgare, Vénélina Ghuiaurov, dont le jeu tranche un peu trop avec celui des acteurs.
Le décor d’Isabelle Larivière et les éclairages de Martin Lévesque sont tout à fait splendides. Ils rendent à la fois l’atmosphère surannée et étrange de ce vieux monastère transformé en asile.
Avec cette pièce (sa huitième), Hristo Boytchev a remporté des prix et s’est fait connaître à l’extérieur de son pays. Ce succès est grandement mérité.
Jusqu’au 2 décembre
Au Théâtre de Quat’Sous
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