Rien à voir avec les rossignols : L'enfer, c'est les autres
Scène

Rien à voir avec les rossignols : L’enfer, c’est les autres

C’était déjà un privilège pour les Montréalais qu’un théâtre de leur ville produise la création en français d’une pièce de Tennessee Williams. C’est maintenant une grâce que nous fait cette compagnie en présentant Rien à voir avec les rossignols, le meilleur spectacle de l’automne, voire de l’année, sur nos scènes.

C’était déjà un privilège pour les Montréalais qu’un théâtre de leur ville produise la création en français d’une pièce de Tennessee Williams. C’est maintenant une grâce que nous fait cette compagnie en présentant Rien à voir avec les rossignols, le meilleur spectacle de l’automne, voire de l’année, sur nos scènes.

Avant tout, la petite histoire de ce texte longtemps oublié. L’auteur du Tramway nommé Désir l’avait écrit en 1938, à l’âge de 27 ans. Mais aucune compagnie n’avait voulu monter sa pièce et Willams l’avait remisé au fond de ses tiroirs. C’est grâce à l’actrice britannique Vanessa Redgrave que la pièce a été retrouvée dans des archives universitaires il y a quelques années et, finalement, créée à Londres, en 1998, puis à Broadway.

Curieusement, dans son mot au programme chez Duceppe, le metteur en scène Serge Denoncourt nous avertit que Rien à voir avec les rossignols est une pièce "imparfaite et remplie de maladresses". Au contraire, vendredi dernier, en assistant au spectacle dirigé avec brio par Denoncourt, j’ai découvert l’oeuvre d’un dramaturge maîtrisant déjà parfaitement son art, grâce à un évident sens des répliques et du dialogue, une structure bien construite, en plus de la capacité d’inventer des personnages plus vrais que nature. Il faut dire que Denoncourt a effectué des coupes et que la traduction de Michel Tremblay rend admirablement l’univers étouffant de la pièce.

Ouvre de jeunesse, certes, portée par l’urgence de dénoncer l’injustice sociale et le traitement inhumain dans les prisons américaines (Williams s’est inspiré d’un fait réel, la mort de quatre détenus qui avaient été enfermés, avec une vingtaine d’autres, dans une cellule surchauffée, le Klondike!), Rien à voir avec les rossignols demeure, plus de 60 ans après son écriture, une pièce d’un formidable impact. Car la question des châtiments corporels est d’actualité dans les prisons du Texas ou de l’Alabama; mais, surtout, parce que le jeune auteur avait déjà le don de toucher à l’universel.

Six ans avant Huis clos de Jean-Paul Sartre, Tennessee Williams disait déjà que "l’enfer, c’est les autres". Ce sera un des grands thèmes de son théâtre, Un théâtre qui met en scène des êtres qui, pour échapper à la cruauté du monde, dépendent trop de "la bonté des étrangers ", pour reprendre la formule immortelle de Blanche Dubois.

Dans Rien à voir avec les rossignols, le prisonnier Canari Jim dépend de la parole d’un despote (le gouverneur du pénitencier, Boss Whalen) et de la bonté d’une femme candide (la secrétaire, Eva Crane). Hélas, dans cette prison infernale, comme dans l’enfer du couple de La Chatte… ou dans l’enfer tropical de Soudain l’été dernier, il n’y pas de pitié pour les plus faibles.

Portée par une distribution parfaite et une scénographie ingénieuse (un échafaudage de Louise Campeau), Rien à voir avec les rossignols se déploie à un rythme d’enfer (et c’est rare un spectacle de trois heures sans aucune longueur au théâtre, parole de critique). On regarde ce spectacle rivé sur son siège comme durant un suspense au cinéma.

En terminant, je m’en voudrais de ne pas mentionner le jeu particulièrement remarquable des comédiens. D’abord, Michel Dumont, monstrueusement crédible dans le rôle du directeur de prison despote. Ce grand acteur parvient à nous faire croire à l’ignominie de son personnage (c’est un cas où les spectateurs voudraient monter sur scène pour le gifler!) tout en affichant la vulnérabilité, la faille et le doute qui hantent la conscience de ce salaud. Dumont incarne à la fois l’homme et la bête. Grandiose!

Ce dernier trouve un partenaire de jeu idéal avec Normand D’Amour, qui incarne Canari Jim. Germain Houde est aussi bouleversant dans le rôle du leader des prisonniers, Butch. Marc Legault donne l’une de ses meilleures performances depuis plusieurs années. Roger La Rue, Stéphane Brulotte, Marie-France Lambert et Annette Garant sont aussi excellents.

À voir absolument.

Jusqu’au 2 décembre
Au Théâtre Jean Duceppe