Michel Monty : C’est l’apocalypse!
Avec CyberJack, une comédie noire qui nous donne rendez-vous en 2020, l’auteur et metteur en scène MICHEL MONTY veut apprivoiser ses (et nos) inquiétudes face à l’avenir. Images du futur.
"I’ve seen the future,
brother: it is murder."
Leonard Cohen
Ah, l’avenir: ce trou noir dans lequel on déverse nos rêves, nos espoirs. Et aussi nos angoisses. Michel Monty, lui, est une nature inquiète. Le genre à garder les yeux ouverts jusqu’à trois heures du matin s’il a appris qu’une catastrophe écologique vient de survenir, ou qu’on a enterré des déchets nucléaires dans le Bouclier canadien…
Aussi impuissant que le reste d’entre nous à dessiner les contours du futur, l’auteur et metteur en scène a réagi à sa façon: en prenant la plume (pardon, la souris d’ordinateur…) pour pondre CyberJack, une comédie noire qui nous donne rendez-vous dans deux décennies, en 2020. Dans un monde dominé par la machine, les découvertes de la bio-informatique, et, bien sûr, la recherche effrénée du profit.
"Mon intention de départ était d’évacuer mon angoisse par rapport à l’avenir, qui était devenue maladive, explique Michel Monty. Je traîne ça depuis mon adolescence. On était alors à la fin de la guerre froide, et l’on vivait sous la menace nucléaire. Mes amis et moi étions obsédés par ça. Ça m’empêchait d’être heureux. Je remettais tout en question. Ma vie, mon travail, ce que je fais, où l’on s’en va, à quoi je sers, ce que je peux faire. La pièce est un peu née de cette angoisse-là. Autant y aller à fond dans le cynisme, dans tout ce que je ressens par rapport à l’avenir. Pour être mieux après. Je pense que ça va marcher, parce que je suis intensément là-dedans depuis huit mois. Et créer, ça évacue toujours."
Dans le spectacle de sa compagnie Trans-Théâtre, à l’affiche dès le 16 novembre à La Licorne, nos pires cauchemars ont pris forme: les désastres écologiques, la surpopulation galopante, les épidémies, le clonage, le capitalisme débridé… "Le théâtre, c’est du conflit, des situations extrêmes. J’ai fait le choix d’aller vers la dérision, de pousser les pires scénarios qu’on nous prédit sur le plan de l’environnement, de la démographie, de la génétique, des nouvelles technologies. Où serons-nous dans 20 ans? On ne le sait pas. La pièce pose un constat assez terrible, à certains égards. Mais elle ne se prend pas au sérieux. Je me suis amusé. Je n’ai pas la prétention de dire: ça va être comme ça dans 20 ans (rires). Mais on est quand même parti de certaines choses."
À travers CyberJack et sa vision apocalyptique de l’avenir, Michel Monty se moque un peu de ses propres peurs. Mais les craintes de ce faux futurologue ne reposent pas sur du néant. Impossible de le nier: on vit une accélération "exponentielle" de l’histoire, du progrès scientifique. "Mon arrière-grand-mère est née avec l’ampoule électrique, et elle est morte avec le premier Spoutnik. On est dans une accélération qui ne se peut plus. C’est comparable à ce que l’Occident vivait au début du 20e siècle, avec la révolution industrielle. Mais là, c’est l’ère biologique. Et c’est troublant. La technologie est au service des biens de consommation. Moi, je crains que la loi capitaliste ne prenne de plus en plus d’ampleur." Avec la prépondérance de la logique du profit, les découvertes génétiques, accessibles aux seuls fortunés, pourraient bien accentuer encore davantage les inégalités.
La marche du progrès
Il peut pourtant sembler inutile de s’opposer à la marche irrémédiable du progrès, ce bulldozer qui, depuis toujours, avance en ligne droite… "On est rendus à une étape où il faut se poser des questions, pense le créateur. La technologie nous a permis de survivre en tant qu’espèce. Sans bâton, sans feu, sans roue, on se serait fait exterminer. Ce qui était l’arme de notre survie est comme devenu l’arme de notre suicide. Il faut qu’on s’arrête à un moment donné. Parce qu’on est en train de détruire ce qui nous maintient en vie. On n’a pas changé, finalement. Avant, on était des barbares avec des catapultes. Là, on est des barbares avec des bombes nucléaires."
C’est d’ailleurs la question essentielle que Michel Monty pose dans la pièce: "Est-on assez évolués pour gérer, au niveau éthique, légal, humain, les technologies qu’on a créées? Moi, j’ai beaucoup d’inquiétudes face à ça. Et ce discours-là, je ne l’invente pas. Un groupe de scientifiques a demandé un moratoire sur le développement des nouvelles technologies comme la génétique, justement parce qu’ils disent qu’on n’est pas capables de gérer ça. Les machines vont devenir tellement complexes que seule une petite élite va avoir accès à cette technologie. C’est inquiétant."
"Et en même temps, c’est extraordinaire, Internet. Le journaliste Jean-François Lépine disait qu’il pouvait communiquer directement avec des gens dans des pays en guerre, des dictatures. Il y a des réseaux qui se créent. Et on revient à l’écrit, grâce au couriel. Il y a toutes sortes d’éléments positifs. Je ne suis pas un anti-technologie. Moi, je suis un optimiste, malgré le constat d’échec que je pose dans la pièce. Et je pense qu’ultimement, la technologie va nous permettre de régler les problèmes auxquels on fait face."
Le dinosaure et le branché
Michel Monty – qui s’est servi à profusion du Net pour sa recherche – étale cette antinomie dans sa pièce, centrée sur la confrontation entre deux extrêmes. Joe (Michel André Cardin), un concierge technophobe, vit "pépèrement" entre ses plantes et ses vieilles émissions de télé. Jusqu’au jour où son frère Jack (Stéphane Demers), un crack du hacking recherché pour fraude informatique, s’incruste chez lui. Et fait pénétrer dans son abri protégé la technologie honnie…
Entre le dinosaure et le branché, l’auteur se positionne quelque part au milieu. "C’est toujours comme ça quand on écrit: moi, je suis un peu les deux personnages. J’ai un peu le côté de Joe qui voudrait s’isoler et aller faire pousser des patates à la campagne. Et il y a un autre côté de moi qui est très gadget. Je vis dans mon époque. Je ne peux pas me passer de la technologie."
Surtout ces jours-ci, alors que pour les besoins du spectacle, Michel Monty doit, paradoxalement, jongler avec la technique. Sans être un show multimédia, CyberJack intègre, avec des moyens "très modestes", des caméos "virtuels" d’une douzaine d’acteurs (dont Brigitte Poupart, Christian Bégin, Louis Champagne, Stéphane Crête, Roger Larue, Dominique Leduc, Sylvie Moreau…). La veille de notre entrevue, Monty avait passé la nuit à essayer de régler des problèmes techniques. Maudites machines… "Je ne suis pas un gars de machines, admet-il. C’est une certaine source d’angoisse pour moi. J’ai toujours fait un théâtre centré sur l’acteur, qui évoquait avec peu."
Et un théâtre volontiers sociopolitique, écrit en réaction au monde immédiat. "J’aime bien le théâtre qui réussit à joindre l’intime et le politique. C’est une préoccupation constante pour moi." Entre deux créations (Prise de sang, Exodos), Michel Monty sent pourtant le besoin de souffler et de laisser le metteur en scène monter les textes des autres. "L’écriture est un processus complètement schizophrénique, explique-t-il. Dans les huit derniers mois, j’ai passé plus de temps avec Jack et Joe qu’avec ma blonde et mes enfants. Plus d’heures dans ma journée à penser à eux, à essayer de les comprendre. C’est bizarre, à la longue. C’est pour ça que je n’écris pas tout le temps."
Assumant ce qu’il appelle la dimension "narcissique" du théâtre ("on le fait d’abord pour nous"), Michel Monty conserve sa lucidité quant à son aventure scénique. "Le théâtre est fait pour divertir, pas pour marteler un message. Je ne vais pas changer le monde avec ma pièce. J’espère que je vais toucher, ébranler ou faire rire les 1000 spectateurs – 1800 si je suis chanceux.
Par contre, je peux me changer à travers le théâtre. Quand j’ai commencé, j’avais beaucoup d’illusions face au théâtre. J’en ai encore – c’est ce qui me fait continuer. Mais le changement, je le cherche dans ma vie privée. À l’échelle de quelques personnes. Beaucoup plus que dans l’écriture de CyberJack. Avec CyberJack, je me libère… et je m’amuse.
"Toutefois, en même temps, c’est hyper-important, puisque je n’en dors pas…", conclut-il en riant. Ô paradoxe humain…
Du 16 novembre au 9 décembre
À La Licorne
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