À toi, pour toujours, ta Marie-Lou
Scène

À toi, pour toujours, ta Marie-Lou

La mise en scène de Gill Champagne de À toi, pour toujours, ta Marie-Lou place la pièce hors du temps, presque hors de l’espace. Les personnages y sont en contact avec l’immatériel, qu’ils touchent, et dans lequel certains évoluent.

La mise en scène de Gill Champagne de À toi, pour toujours, ta Marie-Lou place la pièce hors du temps, presque hors de l’espace. Les personnages y sont en contact avec l’immatériel, qu’ils touchent, et dans lequel certains évoluent.

Au réalisme cru des dialogues, Michel Tremblay a imposé la forme du quatuor, évitant du coup la reconstitution psychologique et les scènes quotidiennes. Champagne y ajoute, par l’utilisation métaphorique de l’espace (Jean Hazel), une dimension symbolique supplémentaire. La scène est entièrement couverte d’eau, à l’exclusion d’un long corridor, seul morceau de l’appartement de Manon ayant survécu au "naufrage", le reste submergé – au propre et au figuré – par la mémoire. Sur l’eau flottent les lampions et statuettes de Marie-Louise, pieusement conservées par Manon, et les bouteilles de bière de Léopold.

L’arrivée des parents (John Applin et Lise Castonguay), que convoque en pensée Manon (Marie-Josée Bastien), en un prologue muet accompagné de musique, est saisissante. Ils apparaissent, surgissant de l’eau, pendant qu’un tricycle, vestige de l’enfance sacrifiée de Roger, traverse la scène. Ils sont ternes, de costumes (Catherine Higgins) et d’attitude, retenant leur fiel. Errant dans l’eau, suivis par les lambeaux flottants de leurs vêtements, Léopold et Marie-Louise se jetteront au visage, une dernière fois, leurs frustrations et leur solitude, une dernière fois entrant dans l’arène devant Manon fascinée. Devant Carmen (Linda Laplante) aussi, s’imposant à sa soeur dans une ultime tentative pour l’arracher à ses fantômes.

Ce traitement symbolique, s’il amortit le choc de l’émotion brutale habituellement ressentie par le spectateur devant ce texte, l’inscrit, semble-t-il, plutôt dans la durée. Lancinantes, l’incompréhension et l’ignorance, la monotonie et l’impuissance.

Les quatre interprètes jouent avec gravité ce texte difficile, emboîtant le pas au double-rythme imposé par la mise en scène: rythme réaliste des dialogues, rythme symbolique des gestes, le dernier ralentissant un peu, parfois, le premier.

Si la proposition scénique est complexe, par tout ce qu’elle suggère, l’ensemble est dépouillé. Et laisse, comme le souhaite le metteur en scène, toute la place à la parole, cette parole tragique et par là, intemporelle. Avec cette mise en scène de Gill Champagne d’un texte toujours aussi déchirant, effarant même, les personnages de Tremblay reviennent de la mort pour nous crier, 30 ans plus tard, que leurs tourments, même s’ils prennent aujourd’hui d’autres visages, existent toujours.

Jusqu’au 2 décembre

À Théâtre du Trident