Dom Juan : Coeur de rocker
Dom Juan , mis en scène par MARTINE BEAULNE, au Théâtre du Nouveau Monde, est un rendez-vous manqué pour DAVID BOUTIN. Et un show qui manque cruellement de chaleur et de sensualité. Dommage.
Poseur, dandy et vaguement androgyne, David Boutin incarne un curieux Dom Juan. Le jeune comédien le plus en vue au Québec (Tag, Hochelaga, Trick or Treat, Trainspotting) joue un drôle de séducteur. Boutin ressemble à un chanteur glam rock sur le déclin, un rocker au charisme prématurément fané par la surconsommation de drogue et d’alcool. Bonjour la relecture…
Dans la production à l’affiche du TNM, le célèbre personnage gagne en modernité, mais il perd, à mon avis, de son charme et de son magnétisme. Le problème, c’est que Molière expose le destin d’un héros qui séduit tout ce qui bouge… Le choix du metteur en scène, Martine Beaulne, d’en faire un figure post- moderne n’a peut-être pas aidé le comédien pour sa composition du rôle. Bien que la modernité du personnage ne soit plus contestée depuis que Jouvet et Vilar, au milieu du 20e siècle, ont réactualisé Dom Juan en France.
Bien sûr, chaque acteur compose son Dom Juan. (Le Québec en a eu cinq importants depuis 1954: Jean Gascon, Léo Illial, Albert Millaire, Gilles Pelletier et, plus récemment, Benoît Gouin.) Néanmoins, si un interprète appose sa propre couleur, il ne peut faire abstraction de l’essence de ce personnage qualifié "d’épouseur du genre humain": son infini potentiel de séduction. Or, malgré sa beauté et son talent, David Boutin m’a laissé de glace…
D’ailleurs, je me demande qui, femme ou homme, pourrait bien céder aux avances d’un tel dragueur, un beau poseur nonchalant, très suffisant, et qui semble toujours se foutre de l’objet de son désir. Pour toucher un coeur, il faut, d’abord, savoir le réchauffer.
Un homme et son péché
Cela pourrait se justifier par le drame de Dom Juan. Par-delà ses conquêtes, le libertin est aussi une âme tourmentée. Un individu qui remet tout en question: la cupidité et les lieux communs (de son valet Sganarelle), la religion et la foi d’Elvire, le mariage et la famille ("pourquoi faut-il qu’un père espère vivre aussi longtemps que son fils?"), l’autorité et la société.
Dom Juan est un libre penseur à une époque où les idées libérales sont suspectes. En l’an 2000, la conscience du libre penseur demeure une source d’angoisse. En 1665, quand Molière a créé Dom Juan, cela devait être carrément insupportable. Face à ses contemporains, Dom Juan est un homme condamné d’avance. Un Hamlet qui a choisi de fuir dans l’action plutôt que dans la réflexion ou la mélancolie. Au dernier acte, seulement, le spectateur peut enfin mesurer l’ampleur du désespoir de Dom Juan.
Malheureusement, sauf lors de l’ultime confrontation avec le Commandeur (la mort), David Boutin joue trop en surface. Il ne nous laisse pas voir le manque et le vide qui poussent le libertin à sa perte.
Ironiquement, en Sganarelle, Benoît Brière, très drôle et juste assez cabotin pour exprimer la sottise du valet, est plus touchant que Boutin. Après la mort de Dom Juan, le populaire comédien, seul, livre à genoux sur la scène le monologue au cours duquel Sganarelle réclame "ses gages"… Et il est tout simplement sublime. (Le soir de la première, des problèmes techniques ont déstabilisé l’équipe durant la représentation. À un moment, une passerelle s’est inopinément mise à reculer… transportant Benoît Brière côté cour! Or, celui-ci a vite récupéré l’incident par un faciès comiquement surpris pouvant laisser croire que ce déplacement du décor faisait partie du spectacle. On appelle ça du métier!)
Parmi le reste de la distribution, mentionnons les savoureux paysans à l’accent du terroir défendus efficacement par Nathalie Malette, Fanny Malette et Daniel Brière. Par contre, Isabelle Blais, en Elvire, récite trop son texte sans rendre l’état de grâce de la dévote ou la douleur de l’amoureuse abandonnée.
Malgré les graves chants latins, la mise en scène rend mieux le côté comique que l’aspect dramatique de la pièce. La proposition scénique (le décor de Danièle Lévesque, les costumes de Mérédith Caron, la musique de Sylvi Grenier et les éclairages de Michel Beaulieu) amalgame la beauté du classicisme au dépouillement du postmodernisme.
Mais l’ensemble reste dépourvu de chaleur et… de sensualité.
Jusqu’au 3 décembre
Supplémentaires du 5 au 9 décembre
Au Théâtre du Nouveau Monde
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