L'Heureux Stratagème : Flirter avec ses classiques
Scène

L’Heureux Stratagème : Flirter avec ses classiques

L’Heureux Stratagème sévit ces jours-ci sur la scène du Rideau Vert; un théâtre qui, soit dit en passant, a cruellement besoin d’un nouveau directeur artistique.

Dans la grande famille théâtrale, il s’exerce, parfois, une espèce de népotisme qui n’a rien à envier au système de renvois d’ascenseur du monde des affaires ou de la politique. C’est, me semble-t-il, la seule raison susceptible d’expliquer une des plus grandes énigmes du théâtre québécois: pourquoi s’acharne-t-on à confier des mises en scène à François Barbeau?

Depuis une quinzaine d’années, cet homme – par ailleurs de grande culture – signe des spectacles lourds, démodés (un scandale pour un costumier!), sans vision, et, qui plus est, terriblement ennuyeux. Sa dernière catastrophe, L’Heureux Stratagème, sévit ces jours-ci sur la scène du Rideau Vert; un théâtre qui, soit dit en passant, a cruellement besoin d’un nouveau directeur artistique, Guillermo de Andrea faisant preuve d’une grande paresse intellectuelle.

Ce que Barbeau a fait (il faudrait dire n’a pas fait) avec cette pièce magnifique est un bel exemple de ratage. Pire, son spectacle est un anachronisme qui nous transporte au milieu des années 50. On croit rêver ou assister à une variation scénique de Retour vers le futur.

Néanmoins, vendredi soir dernier, j’avais plus de compassion pour les (excellents) acteurs orphelins de metteur en scène que de déception envers le travail de Barbeau. Car, en lisant son "texte" dans le programme (20 mots et aucune phrase complète), on est en droit de s’interroger quant à l’existence d’un réel désir de monter ce classique du répertoire français.

Écrite en 1733, alors que Marivaux était au sommet de sa gloire, L’Heureux Stratagème est presque une version soft de ce que Laclos racontera, quelques décennies plus tard, dans Les Liaisons dangereuses. C’est l’envers de la noblesse des sentiments. L’auteur démontre que l’amour et l’orgueil sont inextricablement liés. "L’amour soupire de ce qu’il perd, l’orgueil méprise ce qu’on lui refuse", confie la marquise (Monique Spaziani ) à Dorante (Jean Petitclerc), expliquant son stratagème pour que l’amant regagne le coeur de la comtesse (Markita Boies).

Longtemps, on a classé Marivaux parmi les écrivains raffinés mais légers. On le jouait surtout pour l’élégance de la langue. Or, le marivaudage est aussi une subtile analyse de la cruauté et de la perfidie qui animent les coeurs éconduits. Dans les années 90, Claude Poissant a réactualisé et modernisé Marivaux en signant des productions qui faisaient justement ressortir la gravité du marivaudage. Ici, Barbeau propose une lecture si superficielle de cet univers riche et profond que cela dépasse l’entendement.

Ainsi, l’amateur de théâtre ressent de la tristesse en voyant autant de talents abandonnés dans une même production. Markita Boies et Monique Spaziani peuvent être rayonnantes aussi bien que cruelles (après sa brillante prestation dans L’Hôtel des horizons, en septembre dernier, madame Spaziani prouve encore qu’elle a atteint un haut degré d’intelligence dans son art). Nicolas Canuel et François Longpré (les valets Frontin et Arlequin) sont très bons, et ils essaient de donner de l’humanité et de la vérité à leur personnage. Toutefois, Gabriel Sabourin semble se demander ce qu’il fait là…

Personne ne le blâmera. Car le jeu ne peut pas rendre à lui seul toute la violence tapie sous la légèreté du marivaudage, si la proposition d’ensemble ne la suggère pas d’un iota.

Du beau gâchis, en deux mots.

Jusqu’au 2 décembre
Au Théâtre du Rideau Vert