Being at Home with Claude : Chant d'amour
Scène

Being at Home with Claude : Chant d’amour

Dans un face-à-face étrange entre deux hommes en manque d’amour, RENÉ-DANIEL DUBOIS signe la plus déroutante production de la reprise de son texte créé en 1985. Pour public averti  seulement.

Certains artistes ne font pas de cadeaux au public. C’est le cas de René-Daniel Dubois. Je n’avais pas vu les précédents ouvrages du metteur en scène à l’Espace Go (Les Guerriers, Le roi se meurt), mais la critique en avait surtout retenu l’audace. À la même enseigne, Dubois fait encore le pari du risque, mais cette fois avec un de ses propres textes: Being at Home with Claude, à l’affiche depuis la semaine dernière.

D’ailleurs, si la mise en scène avait été confiée à quelqu’un d’autre, on aurait pu évoquer le détournement de sens, tellement le dramaturge a bouleversé le rythme, l’intrigue, le message et la musique de sa pièce.

Le metteur en scène suggère "une communication plus directe avec le public, où la notion même du spectacle s’efface presque complètement pour laisser entendre, simplement, des interprètes uniques nous dire un texte unique", écrit-on dans le programme.

En effet, d’entrée de jeu, le spectateur est dérouté par la proposition scénique d’un extrême dépouillement. Le théâtre est sens dessus dessous, la scène ayant été installée à l’arrière de la salle, le décor laissant voir le mur nu, les portes d’entrée et la fenêtre de la régie. Du haut des gradins à la pente vertigineuse, les projecteurs braqués sur lui, le public devient le principal témoin de ce huis clos.

Alors que les autres productions (et le film) nous avaient habitués au choc entre deux univers – l’un policier et straight, l’autre rebelle et gai -, ici ces deux mondes se heurtent avec plus de nuances. L’inspecteur a le même âge que le suspect et un physique moins imposant. Ils représentent plutôt deux types de souffrances qui cohabitent, comme deux prisonniers disparates devant partager la même cellule.

Dans la mise en scène de Dubois, autant le jeune prostitué soupçonné du meurtre de son amant que l’inspecteur chargé de l’enquête deviennent les victimes d’un monde sans pitié. La gestuelle et le phrasé (un peu trop appuyé) des comédiens suggèrent deux junkies qui s’affrontent pour en finir avec le manque d’amour. Le policier ne porte pas l’uniforme et ses menaces ressemblent à de viriles préliminaires qui rappellent les étreintes homoérotiques dans Women in Love de Ken Russell. (Dans une scène, l’interrogatoire se transforme en une mini-séance de lutte gréco-romaine, alors que les deux comédiens sont couchés l’un sur l’autre! On est loin d’Omertà …)

En reléguant au second plan le suspense policier et en atténuant la polarisation de ces deux univers masculins, la pièce perd un peu de son impact. Car la relation entre les deux personnages est beaucoup plus ambiguë. On ne croit pas à leur curieuse interaction, donc encore moins à leur rencontre finale.

Dans les circonstances, les comédiens se débrouillent assez bien. Après avoir commencé sur les chapeaux de roues, Patrick Goyette s’ajuste. Et il réussit à nous émouvoir en laissant voir la fatigue et le doute (la résignation?) s’abattre sur les épaules de l’inspecteur. Toutefois, l’acteur incarne un homme qui, paradoxalement, semble plus blessé par la vie qu’Yves.

Dans ce dernier rôle, Luc Chapdelaine nous laisse sur notre faim, quoiqu’il ne fasse aucun doute que ce jeune comédien a la sensibilité et le talent pour continuer dans le métier. Mais on dirait qu’il n’est pas à l’aise avec les directives de son metteur en scène. En particulier quand il exécute les tics et les grimaces représentant, sans doute, les séquelles de la dépendance sexuelle d’Yves.

La plus grande épreuve du spectacle reste le long (et magnifique) monologue durant lequel Yves avoue son grand amour. Luc Chapdelaine le livre avec une grâce et une douceur qui contrastent avec sa fébrilité précédente. Au son des accords de la guitare sèche de Nino Ménard, on croirait entendre un ami nous raconter une belle histoire autour d’un feu de camp! Bien que le comédien joue avec beaucoup de naturel et de vérité, l’émotion plafonne rapidement. Dommage.

En écrivant Being at Home with Claude, René-Daniel Dubois a infirmé le proverbe qui dit que les grandes douleurs sont muettes. La blessure d’Yves se verbalise pour toucher à la grâce; elle arriverait à émouvoir un coeur de pierre. Hélas, on dirait que Dubois a mis en scène le sous-texte au lieu de la pièce, le non-dit au lieu du drame.

Au bout du compte, la direction de l’Espace Go a rendu un mauvais service à Dubois en lui demandant de signer la mise en scène de sa pièce la plus connue. Cette production est si déroutante qu’elle risque de lasser même les plus inconditionnels amants de son théâtre.

Jusqu’au 9 décembre
À l’Espace Go
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