CyberJack : La maudite machine
Scène

CyberJack : La maudite machine

Une comédie d’anticipation à haute teneur technologique: voilà le drôle d’objet théâtral qu’a conçu Michel Monty avec CyberJack.

Une comédie d’anticipation à haute teneur technologique: voilà le drôle d’objet théâtral qu’a conçu Michel Monty avec CyberJack, une pièce aux couleurs de l’anxiété et de la dérision, à la fois divertissement et cri d’alarme, qui s’alimente aux peurs d’aujourd’hui quant à demain.

Bienvenue donc en 2020, dans un univers cauchemardesque qui vit à l’heure des manipulations génétiques au profit exclusif des plus fortunés, du capitalisme à tout crin, de la guerre informatique. À travers l’antagonisme manichéen établi entre le très biologique Joe (Michel-André Cardin) et son frère, l’hyper-cybernétique Jack (Stéphane Demers), se profile une question angoissante: la croissance scientifique et technologique aura-t-elle raison de l’humanité?

On pourrait dire que dans CyberJack, c’est la machine qui sort victorieuse. À une échelle modeste, sans les moyens d’un Robert Lepage, Michel Monty a réussi à vaincre le monstre technologique. Baignant dans une ambiance assez zen distillée par la petite musique techno de Jean-François Pednô, l’appareillage technologique qui envahit l’antre obsolète de Joe est efficacement suggéré. L’environnement visuel s’avère une réussite, notamment les extraits vidéo, bien que leur impact soit de qualité inégale. S’y distinguent surtout une Brigitte Poupart sulfureuse en déesse du terrorisme informatique, un Roger Larue juste assez cynique en cyberpolicier, et un Stéphane Crête bidonnant en internaute russe.

Drôle, CyberJack l’est à ses heures, bien que certains gags tombent un peu dans la facilité et que le texte eût pu être plus grinçant. Parsemée de clins d’oeil craquants ("l’Université Pepsi": on sent bien que ça s’en vient…), nourrie par une réflexion pertinente, la pièce n’est pas en panne de trouvailles.

Mais l’auteur aurait gagné à imprimer quelques bonds en avant à sa machine à progresser dans le temps: des longueurs enrayent la marche du spectacle. La difficulté, c’est la mise en contexte de cette époque pas si lointaine en années, mais drôlement plus "avancée" que la nôtre côté technologique, surtout qu’elle passe essentiellement par le texte. Voulant nous faire ingérer une grande quantité d’information à travers le dialogue, la pièce ploie parfois sous un contenu didactique trop chargé (ça passe par contre sans douleur dans les brefs flashs du bulletin télévisé). L’exposition semble ainsi traîner un peu en longueur pour situer les paramètres de l’époque, installer le choc culturel. Quant à certains passages, comme les descriptions des manoeuvres cybernétiques de Jack, ils sonnent tout simplement trop technique, dans leur jargon techno-franglais.

Le contenu explicatif, l’intéressante thèse (le cerveau humain n’est pas prêt pour toutes ces avancées de la science), tout ça prend parfois le pas sur le récit lui-même, sur la veine parodique, et sur les deux personnages de chair qui peuplent la scène. Et ce, malgré la performance de Michel-André Cardin, fort convaincant en granola passif du XXIe siècle, qui se transforme peu à peu en avocat passionné de l’antitechnologisme. Assez efficace mais cantonné dans un rôle un peu mécanique, Stéphane Demers reste plus prisonnier d’un personnage monolithique, un automate humain vendu aux mérites de la technologie qui ne sort pas des orbites de l’archétype.

Intelligente, souvent amusante, soulevant des pistes de réflexion, la pièce de Trans-Théâtre n’en demeure pas moins un peu victime d’un paradoxe: comment mettre en forme la menace que fait peser la technologie sur notre avenir, sans être à la remorque de son langage rebutant? Au théâtre, après tout, c’est l’humain qui reste roi. Même quand on parle de la machine.

Jusqu’au 9 décembre
À La Licorne
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