Parle-moi des tigres : Les meilleures intentions
Trop de bonnes intentions pour une seule pièce. C’est ce qu’on appréhende en prenant connaissance des éléments ayant donné naissance au spectacle Parle-moi des tigres.
Trop de bonnes intentions pour une seule pièce. C’est ce qu’on appréhende en prenant connaissance des éléments ayant donné naissance au spectacle Parle-moi des tigres, dont les crédits évoquent davantage la mission sociale ou l’exploration thématique que la création artistique. Mon premier est un dramaturge-chercheur en psychologie de la mort, qui "a transposé son savoir dans l’écriture" de différentes oeuvres; mon second, un metteur en scène qui enseigne la psycho à l’UQAM depuis 20 ans et qui a cofondé Suicide-Action-Montréal; mon tout est une pièce écrite en hommage à Réjean Marier, le premier directeur général de cet organisme de prévention contre le suicide. Voilà qui pourrait ressembler dangereusement à du théâtre de CLSC…
Présentée alternativement dans les deux langues électorales au Théâtre Prospero, cette pièce sur la mort marque du même coup la renaissance du Théâtre Imago, la compagnie alternative bilingue fondée en 1986 par Andrés Hausmann, qui avait plus ou moins cessé ses activités en 1995. Elle-même une revenante dans le milieu théâtral, Claire Schapiro – cofondatrice du feu Théâtre 1774 – a désormais repris les rênes de cette troupe vouée à la production d’oeuvres à "vocation sociale". Une résurrection pas très convaincante pour l’instant…
Inspirée par "quelques éléments de la vie" de Réjean Marier, la pièce de Robert Kastenbaum a, à tout le moins, la délicatesse de ne pas prendre la Faucheuse sous l’angle larmoyant. Parle-moi des tigres évite généralement l’apitoiement, creusant plutôt son chemin du côté de l’imaginaire et de l’humour, cette "politesse du désespoir". Quelques jours avant la fin, Joshua (Pierre Lenoir) quitte l’hôpital pour faire un dernier saut chez lui. Souffrant le martyre à cause d’un oedème incurable à la jambe mais jouant bravement d’autodérision, il fait ses adieux à ses choses et emballe les cadeaux qu’il destine à ses proches.
Ceux-ci, que le malade convoque en imagination, apparaissent sur scène comme si de rien n’était, alors que remontent flash-back et fantasmes. Ainsi, cette scène savoureuse qui met en accusation la déshumanisation de la médecine: Joshua rêve qu’il intervertit, avec un plaisir sadique, les rôles avec son médecin insensible (Paul Doucet, qui endosse assez efficacement plusieurs rôles), le genre qui s’enthousiasme à la vue de la maladie, sans aucun égard pour la détresse de son patient. Attendri par la douleur, le disciple d’Hippocrate se révèle enfin doué d’empathie… L’une des meilleures scènes du spectacle.
Ce texte sincère mais pas très habile s’articule autour d’une métaphore pesante: le tigre comme symbole de la mort que le protagoniste doit affronter. Ses échanges à ce propos avec une jeune comédienne qui récite son texte – difficile de faire parler avec vérité un enfant sur scène – présentent un petit côté pédagogique agaçant.
C’est peu dire que la mise en scène boiteuse de Brian Mishara ne sert pas la pièce, négociant laborieusement les transitions entre les différents niveaux que le texte emboîte bizarrement, du réalisme le plus prosaïque aux percées de l’imaginaire. Les écrans et les projections vidéo ne règlent pas tout…
On admire certes le courage, l’abnégation, l’humanité de ce personnage de battant, dont la pièce exalte l’humour face à la mort; mais le jeu débonnaire et trop terre-à-terre de Pierre Lenoir ne touche que sporadiquement. Il aurait fallu un comédien plus puissant pour soutenir la pièce du début à la fin.
Les proches de l’homme qui l’a inspirée y reconnaîtront peut-être les qualités du cher disparu, mais en art, l’admiration et l’amitié ne suffisent hélas pas…
Jusqu’au 26 novembre
Au Théâtre Prospero
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