Harold Rhéaume : Un sujet « capitale »
Première apparition d’HAROLD RHÉAUME sur une scène de Québec depuis son emménagement l’été dernier. Il présente simultanément Écho, un solo autobiographique, et Les Cousins, une pièce pour jeune public. Rencontre avec ce chorégraphe que le milieu de la danse accueille avec enthousiasme.
En remontant le courant
Malgré que la création des Cousins l’ait dernièrement éloigné de Québec, Harold Rhéaume est toujours aussi ravi de son retour dans sa région natale et de son nouveau studio au centre-ville, qu’il appelle "sa maison". C’est un lieu vaste et dégagé avec un bel espace pour danser."C’était vraiment super symbolique, le fait d’acheter quelque chose à Québec. J’ai jamais rien acheté de ma vie. J’ai le goût de m’implanter. L’année prochaine je veux passer mon année à Québec. Je ne veux plus faire la navette."
Élevé au Lac-Saint-Charles, Harold Rhéaume découvre le monde artistique par le biais du chant choral. Il fait ensuite une technique en arts visuels puis il échoue de peu aux auditions du Conservatoire de théâtre avant de se présenter à celles de l’École de danse de Québec. Après sa formation en danse, en 1989, il est admis comme apprenti chez Danse Partout, une compagnie où il se sent plus ou moins à l’aise. L’année suivante, il accepte l’offre du Groupe de la Place Royale et déménage à Ottawa. "Quand je suis parti, je me suis donné un gros coup de pied dans le derrière parce que j’avais le goût de rester."
Il comprend donc très bien les finissants de l’École de danse de Québec qui refusent l’exil, ce qui ne l’empêche pas de se désoler de les voir abandonner la danse. Parmi les finissantes de l’an dernier avec lesquelles il a eu l’occasion de travailler, seulement deux sur sept semblent déterminées à continuer. "Ça n’a pas de bon sens de passer trois ans dans une formation intensive en danse – une très bonne formation parce qu’à Québec c’est une super bonne école – quand c’est même pas dans le but de danser après. J’ai trouvé ça dur à prendre." Il espérait qu’avec le temps, les choses seraient devenues plus faciles pour les danseurs débutants.
En ce qui le concerne, il considère qu’il aurait difficilement pu continuer à danser en demeurant ici au début de sa carrière. Il n’y avait alors aucune structure, comme La Rotonde aujourd’hui, pour encadrer les chorégraphes indépendants. Il ne regrette donc pas les années passées à voyager entre Ottawa et Montréal, deux villes qu’il a habitées tour à tour. "Je sens que je n’aurais pas pu revenir avant maintenant. C’est comme s’il avait fallu que j’aille au bout de quelque chose, de mes expériences chorégraphiques, mais aussi de ma démarche de danseur. J’ai dansé avec beaucoup de monde, pour beaucoup de monde aussi. Peut-être que je n’aurais pas pu avoir cette expérience-là ici."
Il crée ses premières oeuvres au sein du Groupe de la Place Royale. Puis il investit l’Espace Tangente et l’Agora de la danse à Montréal. Hybride lui vaut le prix Jacqueline Lemieux en 1997. Suivent des pièces de groupe d’une grande maîtrise. Les Dix Commandements est présentée à la Place des Arts en 1998. Épitaphe est de la programmation officielle de 1999 du Festival international de nouvelle danse à Montréal.
Bien intégré à la communauté de la danse, Harold est cependant insatisfait de sa qualité de vie dans ces villes où il ne se sent pas d’appartenance. "Québec m’a toujours manquée, beaucoup, beaucoup. Les années passaient – ça fait 11 ans que je suis parti, quand même. Je me disais tout le temps: "Est-ce que je vais être capable un jour de travailler à Québec, de faire de la danse à Québec?" Je me disais tout le temps: "Pas cette année, ça se peut pas." Mais il y a une couple d’années, quand je suis venu danser pour Louise Bédard et Danièle Desnoyers, là, tout à coup, j’ai vu Québec d’une autre façon. Québec était plus ouverte. C’est peut-être moi qui avait changé, je ne sais pas. Là, j’ai commencé à m’imaginer vraiment que je pourrais vivre à Québec."
Entrer dans la danse
La création d’Écho a contribué à son retour. À l’été de 1999, le chorégraphe bénéficiait d’une retraite de création au studio de La Rotonde sur Langelier. À l’époque, il vivait une période d’essoufflement à la suite de la création, coup sur coup, des Dix Commandements et d’Épitaphe. Il remettait même en question son intérêt pour la danse. "J’étais un peu étourdi de toutes ces années de travail de création, de voyages… Et envoye, produis, produis, produis. Je suis arrivé à Québec et j’ai pensé : "Là, j’ai plus rien à dire. Je suis vide. Je suis sûr que j’ai tout dit ce que j’avais à dire. La danse, finalement, j’ai fait le tour." Ça m’a pris quelques jours pour commencer à amorcer quelque chose." Il a choisi de prendre son temps, en fait, et l’ambiance de la ville y est pour beaucoup.
En studio, il s’est d’abord constitué un environnement agréable, meublé et éclairé à son goût. Lui qui a autant horreur d’un local vide qu’un écrivain de la page blanche, il imagine toujours la scénographie et l’éclairage avant le mouvement. "La lumière m’inspire, confie-t-il. Je m’en sers beaucoup. J’ai en quelque sorte un dialogue avec la lumière." Il y a aussi l’effet magique de ses musiques préférées, sur lesquelles il retrouve la sensation de danser pour le plaisir. Écho a pris forme très rapidement, si bien qu’à la fin du mois, il en livrait une première version au public.
"Écho, c’est comme une mise à nu", dit Rhéaume. Le personnage ressemble à s’y méprendre au chorégraphe. Le décor, c’est l’ameublement qu’il utilise tous les jours dans son salon. "C’est comme si j’invitais les gens à venir s’asseoir ici et regarder comment on crée, comment la danse peut naître de quelque chose de très simple, d’un état, d’un geste, d’une musique, d’un meuble."
La version finale d’Écho conserve une note spontanée, une atmosphère de travail en studio: c’est lui qui fait jouer la musique et qui modifie l’éclairage. La gestuelle alterne entre danse et mouvements du quotidien. Ce mélange de genres ne pourrait pas convenir à n’importe quel chorégraphe, mais, pour Rhéaume, qui possède un style simple et franc, le jeu va de soi. "Souvent, le mouvement stylisé, c’est juste un mouvement quotidien accentué ou amplifié", considère-t-il. Le résultat est une pièce éclatée, qui alterne entre tendresse, colère et comédie, une sorte de collage de moments de vie.
Opération séduction
Les décors des Cousins, la première création pour jeune public d’Harold Rhéaume, sont en transit dans un coin de l’appartement du chorégraphe. Il vient tout juste de la présenter à Montréal et Ottawa, et l’accueil du jeune public est encore tout frais à son esprit. "À Montréal, les enfants réagissaient de façon très interactive, c’est-à-dire que les jeunes manifestaient tout de suite leur plaisir, leur enthousiasme. On les entendait, tu sais, très très clairement, tandis qu’à Ottawa, on n’entendait presque rien." Il a su par la suite que ce silence attentif était une preuve d’intérêt de la part des enfants.
Comme il craignait d’assommer les jeunes avec un spectacle de danse pure de près d’une heure, il a adopté une approche théâtrale. Il a fait appel aux comédiens Martin Faucher et Daniel Parent, qui, tous les deux, avaient déjà une expérience de la danse. Avec eux, il a décidé de partager le poids de la création et d’élargir sa vision du thème de l’amitié entre hommes. "Je me suis dit que je ne ferais pas une pièce pour adultes adaptée pour les enfants. Je suis allé vers quelque chose de plus spontané au niveau du corps, plus joyeux, plus sous forme de jeux. Martin et Daniel amenaient beaucoup de situations, de trucs très concrets et moi, la gestuelle et l’univers chorégraphique. Ça s’est vraiment fait en groupe."
La passion du danseur pour le théâtre ne s’est jamais démentie. Il y a vécu sa première expérience en 1988 dans Le Bourgeois Gentilhomme au Trident. Depuis, il a chanté, dansé, joué, créé des chorégraphies dans plusieurs productions. Il a même fait sa première mise en scène le printemps dernier pour une production de Vox Théâtre à Ottawa intitulée Les Carnets du ciel. Rhéaume est de plus en plus persuadé qu’il n’y a plus de frontière entre les disciplines artistiques.
Bien que Les Cousins tienne du théâtre par son aspect concret, tout s’y déroule en danse, sauf pour un monologue de Martin Faucher. Petite enfance, enfance, adolescence et âge adulte, l’amitié évolue au gré des grandes étapes de la vie. Un sujet plus délicat qu’il n’y paraît. "On dirait qu’on a de la misère à être soi-même avec un gars. Il y a toujours l’idée de compétition, de prouver que… On a tellement à apprendre sur l’amitié entre gars. On ne va pas beaucoup vers ça parce que je pense qu’on n’est pas encouragé à le faire."
C’était un double défi pour le chorégraphe: s’adresser à un jeune public et lui montrer des hommes qui dansent. Trois, par surcroît. "Je pense que c’est un spectacle qui parle beaucoup aux garçons. Tu les vois bouger dans la salle. Ils sont là et ils font des mouvements avec nous. Je sais pas si c’est parce qu’on est trois gars et qu’ils s’identifient à nous mais si ça peut les éveiller, c’est super. Moi, je sais que c’est Fred Astaire qui ma éveillé. Ça prenait un gars pour m’éveiller à la danse, je pense."
Un pas devant
L’expérience des Cousins a fait mouche. "À l’avenir, j’aimerais présenter un spectacle grand public et un autre plus spécifiquement pour les plus jeunes. Il y a une liberté dans le spectacle pour enfants qui vient d’elle-même et j’ai hâte de voir si ça va influencer ma façon de travailler pour les adultes dans mes prochains spectacles." Il s’attaquera donc bientôt à un projet double qui vise les adultes et les adolescents. Deux spectacles avec des équipes différentes, mais avec une musique et une scénographie communes. Cette fois-ci, il s’agira d’un univers féminin. La distribution du spectacle pour adultes comprendra notamment Lydia Wagerer et Lucie Boissinot. Les deux pièces seront présentées simultanément en mars 2003.
Mais auparavant, en 2002, le public de la région aura droit à la présentation de Trinité, un récent trio qu’Harold Rhéaume a créé conjointement avec Catherine Tardif et Jacques Moisan. D’ici quelques mois, on devrait aussi voir L’Homme de verre à la télévision. Il s’agit d’un téléfilm sur la vie de Tchaïkovsky, chorégraphié par Rhéaume, où il campe lui-même le compositeur.
À plus long terme, l’enfant prodigue de la danse québécoise souhaite agir comme catalyseur dans son milieu. "J’ai des projets qui sont beaucoup reliés à Québec. Peut-être parce que j’ai passé beaucoup d’années à travailler sur moi, sur mon style. À un moment donné, c’est comme moi, moi, moi. Là, j’ai le goût de partager avec une équipe, aider l’École de danse et le milieu ici. On a des projets avec La Rotonde, avoir un lieu, ici à nous autres, par exemple. J’ai très envie de travailler au niveau de la communauté."
Selon lui, éviter l’isolement est une condition essentielle à la vitalité de la danse dans notre petite ville et il n’est pas le seul à l’affirmer. C’est d’ailleurs pourquoi La Rotonde continue d’inviter des compagnies de l’extérieur. Quant à lui, il compte bien continuer à présenter ses oeuvres ailleurs, mais, aussi, amener des danseurs ici à venir participer à son travail. Espérons que d’autres suivront son exemple en choisissant Québec comme lieu de résidence, ce qui est loin d’être impossible…
Écho
Du 7 au 9 décembre
À la salle Multi
Voir calendrier Danse
Les Cousins
Les 9 et 10 décembre
À la salle Multi
Voir calendrier Jeunesse