Pension vaudou : Musée des horreurs
Scène

Pension vaudou : Musée des horreurs

Pension vaudou fait son lit sur des registres rarement exploités dans notre dramaturgie: l’horreur et le grotesque.

Pension vaudou

fait son lit sur des registres rarement exploités dans notre dramaturgie: l’horreur et le grotesque. De proches parents, puisque tous deux flirtent avec l’extrême, épousent la marge, permettent de repousser les limites du normal. Cocktail d’étrangeté, de dérision, de salace et d’horrifique, ce "freak show" théâtral propose une étonnante partie de plaisir – une denrée décidément rare depuis le début de la saison. Pour les amateurs du genre, bien sûr…

"Laisse ton pudeur (sic) à l’entrée", nous conseille d’ailleurs le maître de cérémonie de Pension vaudou. La suggestion est d’autant moins à dédaigner qu’elle émane d’un personnage qui a lui-même allégrement suivi la consigne: un Jacques L’Heureux grimé en travelo de pacotille, à la voix graveleuse, "vêtu" en tout et pour tout d’une longue tignasse, d’un soutien-gorge et de bas résille, ainsi que d’un cache-sexe à paillettes… Tel un crieur de monstres officiant dans une foire, cette vulgaire créature nous invite à faire le tour de son musée des horreurs. Vous voilà prévenu…

Cet univers aux confins de l’horreur et de la parodie est sorti de l’encrier noir de la comédienne et auteure Louise Bombardier, dont l’imaginaire est peuplé d’êtres en métamorphose, de créatures hybrides (femme-cheval, homme-ours), d’enfants séquestrés par leurs parents, tous quémandant malgré tout une forme d’amour. Des "monstres" qui composent un panthéon de l’horrible, des manques humains et des relations familiales tordues.

La pièce mise en scène par Diane Dubeau se présente comme un entrelacement de tableaux, dont la noirceur est toujours désamorcée après coup par les commentaires dérisoires du M.C. décadent. Les personnages surgissent de partout, comme d’une boîte à surprises, dans le décor à étages de Catherine Granche, fascinant avec son jeu de perspectives tronquées, qui laissent parfois entrevoir uniquement certains segments du corps. Selon la grande loi du genre, le plus étrange est encore ce qu’on ne voit pas, tel l’être invisible qui se cache sous cette peau d’ours parlante, ou encore le bébé qu’on devine monstrueux.

Ce dernier numéro constitue le clou de la soirée, avec son ambiance banalement horrible et l’inattendu qu’enfante rapidement une situation a priori réaliste. Le moins bizarrement comique de l’affaire n’est pas la mère qui a engendré ce nourrisson poilu, qui semble se situer entre l’animal et l’adulte. Il faut voir la toujours incroyable Violette Chauveau, avec son allure lugubre, son élocution catatonique, son timbre de voix surgi des profondeurs caverneuses, son rire démoniaque…

L’histoire a une suite logique (si l’on peut dire…) treize ans plus tard, alors que cet enfant monstrueux (Maxim Gaudette, qui parvient à être à la fois pathétique et effrayant) vit un amour "fou" avec la copine de sa maman, une gentille dame proprette (parfaite Dominique Leduc), ligotée dans la cave.

Dans de multiples compositions, les cinq comédiens (n’oublions pas Marie-Josée Forget) se révèlent tous très bons – et capables de se prêter avec audace à quelques situations outrées. Toutefois, le sortilège qu’exerce Pension vaudou ne se manifeste pas toujours avec la même force: certains segments plus faibles rompent le charme, tel l’épisode de la fillette enfermée dans le grenier.

En apéritif à cette soirée à l’enseigne du macabre et du bizarre, Momentum et le Théâtre de la nouvelle lune offrent une performance signée en alternance par Éric Forget, Manon Labrecque, Nathalie Derome et Marie Brassard. Le solo de cette dernière – le seul que j’aie vu – s’accorde parfaitement au ton de l’événement: onirique, insolite, axé sur la métamorphose. Une Marie Brassard étonnante à la fois de vérité et d’irréalité, méconnaissable avec ses traits figés et sa voix électroniquement triturée, incarne Jimmy, un coiffeur homosexuel né dans le rêve d’un général américain homophobe, à l’aube de s’embarquer pour la guerre du Viêt-nam… Bientôt rêvé par une actrice montréalaise, Jimmy emprunte plusieurs incarnations successives. Mi-homme, mi-femme, tantôt adulte, tantôt enfant, il est prisonnier des songes d’autrui, alors que lui-même n’aspire qu’à retrouver cet espace où il était suspendu dans le temps aux lèvres de son beau Mitchell.

Les personnages dont on rêve existent-ils quelque part, dans une dimension parallèle? interroge ce beau one (wo)man show, qui constitue une idéale entrée en matière au petit spectacle délicieusement pervers qu’il complète. Oui, pourrait-on répondre: cet endroit s’appelle le théâtre; là où, dans le meilleur des cas, s’incarnent de façon tangible nos rêves. Ou nos cauchemars.

Jusqu’au 16 décembre
À l’Espace libre

Voir calendrier Théâtre