Steve Galluccio : Quelle famille!
Scène

Steve Galluccio : Quelle famille!

Avec Mambo Italiano, l’auteur italo-québécois STEVE GALLUCCIO voit pour la première fois une de ses pièces créée dans la langue de Tremblay et produite par une des plus importantes compagnies au Québec. Survol d’un success  story

Ici et ailleurs, l’an 2000 a été l’année des coming out: Daniel Pinard, André Boisclair, Richard "Survivor" Hatch, Sinead O’Connor, Liz Smith – la Francine Grimaldi des States… Or cela ne signifie pas que tout le monde puisse dévoiler son homosexualité sans préjudice. Au Québec, il reste des bastions où la simple mention du terme "homosexualité" provoque le plus grand des malaises, voire la disgrâce. Parmi eux, la communauté italienne montréalaise. Même le président du Gruppo Italiano Gay e Lesbico di Montreal ne tient pas à ce que son nom apparaisse dans les médias…

Depuis quelque temps, Steve Galluccio désirait écrire une pièce sur la famille italienne. "J’ai choisi de l’aborder par le biais du coming out d’un fils gai à ses parents, parce que l’homosexualité est très taboue chez les Italo-Québécois, comme les mariages mixtes et… le concubinage. Au fait, tout ce qui n’est pas traditionnel est tabou pour beaucoup d’Italiens", résume l’auteur.

Steve Galluccio a donc commis Mambo Italiano, qui prendra l’affiche le 13 décembre au Théâtre Jean-Duceppe de la Place des Arts, dans une mise en scène de Monique Duceppe. Cette comédie dramatique raconte la sortie du placard d’un jeune dramaturge, Angelo (Michel Poirier). Le hic, c’est que Nino (Patrice Godin), le chum d’Angelo, un comptable très sportif, n’a pas envie de voir sa vie privée étalée à Saint-Léonard. Il quittera Angelo pour convoler en justes noces avec la voluptueuse Pina… Et le malheur d’Angelo sensibilisera ses parents à la réalité gaie. Ils ont beau être vieux jeu, ils ne veulent pas perdre leur honneur devant la famille de Nino…

Comment expliquer que des gens originaires du pays de Michel-Ange, Visconti, Pasolini et Sandro Penna résistent encore à parler d’homosexualité à une époque où, entre autres, le sitcom gai Will and Grace attire une vingtaine de millions de téléspectateurs tous les jeudis soir?! "Justement, ce ne sont pas les Italiens qui vivent en Italie, explique Galluccio. Actuellement, il ne fait pas de doute que les Italiens en Italie sont beaucoup plus évolués que leurs compatriotes d’ici. Parce qu’en immigrant au Québec après la Seconde Guerre mondiale, les Italiens (dont plusieurs étaient des paysans pauvres du Sud) ont transporté dans leurs bagages les valeurs et les croyances anciennes. Par nostalgie, ils sont plus attachés aux traditions anciennes que, par exemple, un Romain de leur génération. Avec Mambo Italiano, j’ai voulu explorer ce choc des valeurs dans le Nouveau Monde."

Un choc des cultures qui n’est certes pas unique aux Italiens. Mais vécu par des êtres qui ne jurent que par la Madone et Anna Magnani, cela rend la chose plus… dramatique. "Je suis italien de la tête aux pieds", lance le dramaturge né dans la Petite Italie et élevé en italien, dans le quartier Ahuntsic à Montréal, par des parents originaires de la Campanie. "Je suis mélodramatique, amateur de bouffe et d’opéra, charmeur, épicurien, fonceur… Tous les clichés que vous avez entendus sur les Italiens s’appliquent à ma personne. Mais j’ai une relation amour-haine avec la culture italienne. Je déteste son côté très structuré, conservateur et réactionnaire. Toutefois, je pense que cela change tranquillement. À partir de ma génération, et la plus jeune dont les parents ne sont pas nés en Italie, on constate une plus grande ouverture pour les valeurs progressistes nord-américaines. Pour le meilleur et pour le pire. Les Italiens vont s’ouvrir à la différence; mais ils vont perdre un peu leur langue et leur culture.

Des éloges de Michel Tremblay
Le dramaturge de 40 ans a écrit une demi-douzaine de pièces en anglais qu’il dirigeait, publicisait et produisait lui-même dans divers lieux du théâtre en marge anglophone: le Festival Fringe, l’Espace Geordie, le loft d’un ami vidéaste sur la Main. Mais son travail demeurait dans l’ombre. Arrive Mambo Italiano, et le voilà courtisé par les Francophones.

En effet, c’est assez rare qu’un auteur underground voit une de ses pièces traduite par Michel Tremblay, produite chez Duceppe, et défendue par une distribution de vedettes québécoises: en plus de Patrice Godin et Michel Poirier, on retrouvera sur scène Pierrette Robitaille, Mireille Deyglun, Maude Guérin, Normand Lévesque, Véronique Le Flaguais et Adèle Reinhardt.

Pourquoi Michel Tremblay a-t-il accepté de traduire Mambo Italiano sans même savoir si elle serait produite? "À cause de son sujet, qui me semble important, mais aussi parce que son écriture est parfaitement maîtrisée, répond l’auteur des Belles-Soeurs joint à Key West en Floride. Steve Galluccio a une grande empathie pour ses personnages. Il les aime tous et les décrit honnêtement, avec humour, tendresse. Il nous donne juste assez d’information sur eux. La structure de la pièce est aussi impeccable, les scènes s’enchaînent parfaitement: elles ne sont jamais ni trop courtes ni trop longues. C’est aussi un auteur capable de marier le comique et le dramatique, à la manière de Goldoni ou de Molière."

D’ailleurs, quand la pièce s’est retrouvée sur le bureau de Michel Dumont, le directeur artistique de la Compagnie Jean Duceppe, tout le monde croyait que Tremblay était le véritable auteur du texte. "Des gens ont même parié que Tremblay avait pris un pseudonyme afin de jouer un tour à Dumont et à Louise Duceppe", raconte Galluccio, non sans fierté.

Pour l’instant, le dramaturge, qui fait aussi partie de l’équipe de scripteurs des émissions Un gars, une fille et Histoires de filles, vit sur un nuage et n’angoisse pas trop avec la critique. Appréhende-t-il davantage la réaction de sa propre communauté? "J’ignore si les membres de la communauté italo-montréalaise, qui ne fréquentent pas beaucoup les théâtres francophones, se déplaceront en grand nombre chez Duceppe. Mais si c’est le cas, je pense qu’ils seront touchés. Il y a toujours des messages dans mes pièces. Mais ce qui m’importe le plus, c’est qu’elles soient drôles et divertissantes. On accomplit tellement plus par le rire. Avec la comédie, on peut aborder des sujets heavy sans être dramatique. Ma pièce aborde plein de choses – l’amour, la haine, la famille, l’homosexualité, la jalousie, la trahison – mais l’humour aide à faire passer tour ça."

Mambo Italiano devait aussi prendre l’affiche du Centaur, en anglais, cet automne. Mais le directeur du théâtre du Vieux-Montréal, Gordon McCall, a finalement opté pour une autre pièce. Ce n’est que partie remise. Sérieux comme un pape, Galluccio voit déjà des productions de Mambo à Toronto, Los Angeles, New York et Boston! Finalement, un producteur et un réalisateur montréalais sont très intéressés par la sortie du placard à l’italienne d’Angelo. Un projet de comédie pour le cinéma est donc dans l’air…

Si, en général, la vie n’est pas toujours rose quand on est gai et italien, elle semble jamais plate.

Du 13 au 20 décembre 2000
Et du 4 janvier au 3 février 2001
Au Théâtre Jean-Duceppe