Mambo italiano : Histoires de famille
La compagnie Jean Duceppe nous avait habitués à des comédies à l’américaine au temps des fêtes. Cette année Mambo italiano est une création québécoise qui nous ouvre les portes d’un univers peu connu: la communauté italo-montréalaise.
Sous son parfum de prime abord exotique, Mambo italiano offre des accents incontestablement familiers. Traduite par Michel Tremblay, la comédie du Montréalais d’ascendance italienne Steve Galluccio nous fait pénétrer au sein d’une famille névrosée, hautement dramatique, et, via un personnage qui peine à concilier son orientation sexuelle et son origine transalpine, traite principalement d’identité. Un thème bien pourvu dans le corpus dramaturgique québécois…
Créée au Théâtre Jean-Duceppe, Mambo italiano défriche pourtant un champ vierge ici, sauf erreur: l’impact de l’homosexualité dans la communauté italo-montréalaise. Angelo (Michel Poirier), un dramaturge à succès, et Nino (Patrice Godin), un beau comptable, s’aiment. Mais pour les parents du premier et l’intransigeante mamma du second, ces deux-là ne sont que des amis partageant un appartement. Jusqu’au jour où Angelo décide, sans l’accord de son amoureux, de faire son coming out. S’ensuit bien sûr un drame aux proportions felliniennes. Pendant qu’Angelo se débat avec son côté féminin, qui lui apparaît sous les traits de la bellissima Angela, Nino rencontre l’Italienne "aux gros cheveux" qui pourra lui fournir le vernis de "normalité" auquel il aspire. Et le mensonge social qu’il préfère vivre.
Comme plusieurs oeuvres du genre, parcours obligé d’un processus graduel d’acceptation de soi, Mambo italiano colporte un "message" clair: être fidèle à ce qu’on est. Angelo devra s’assumer entièrement, se défaire de ses propres préjugés ("Maudites tapettes!" lance-t-il au début devant le Gay Pride) afin de devenir "un homme complet". En filigrane, la pièce dénonce le mensonge, le déni, l’hypocrisie. Et prend parti pour le choix d’Angelo.
Mais la pièce de Steve Galluccio est avant tout une grosse comédie, efficacement écrite et charpentée, qui table sur la latinité débridée de sa faune. Avec sa couleur burlesque, le spectacle apparaît caricatural par moments, mais plusieurs traits satiriques font mouche, et certaines scènes sont irrésistibles. Viva Italia…
Par un étrange retournement, l’exubérance loge surtout du côté straight de la famiglia: la soeur portée sur le drame, les parents qui font des scènes hautes en couleur. Une folie qu’accentue peut-être la composition de personnages italophones par des comédiens francophones. La trop rare Véronique Le Flaguais s’en tire avec les honneurs, maniant un accent italo-joual que ne renieraient pas les habitants de Saint-Léonard, et campant une mère aussi colorée que crédible. Ce qui n’est pas tout à fait le cas de Normand Lévesque, dont l’accent et le personnage un peu approximatifs sonnent le déjà-entendu. Quant à Pierrette Robitaille, il suffit de dire qu’elle déploie son énergie coutumière et son redoutable coffre pour incarner une mamma terrorisante et truculente…
En contraste, les scènes entre Angelo et son double féminin (Mireille Deyglun, très moyenne) semblent manquer de fantaisie. Dans la mise en scène de Monique Duceppe – un peu lourde avec tous ces décors pivotants -, on vogue ainsi du burlesque, avec la famille d’Angelo trônant dans son décor pur kitsch (scéno commise par Marcel Dauphinais), à un univers propre et branché de téléroman gai, qu’évoque l’antre des amoureux, qui la jouent de façon beaucoup plus réservée, réaliste. Si Michel Poirier livre une performance limitée mais très honnête, l’interprétation de Patrice Godin paraît peu habitée. Ajoutez quelques discrètes scènes homoérotiques de bon goût. Ce qui, dans un grand théâtre populaire comme Jean-Duceppe, signale peut-être une certaine "normalisation" de l’homosexualité…
Plus la pièce avance, plus elle se dépouille de son costume burlesque et aborde des rives plus humaines. Steve Gallucio porte un regard plutôt acide, mais qui se pique de tendresse, sur la communauté italo-montréalaise. Une communauté ici curieusement anachronique, fermée sur elle-même et engluée dans les conventions et les valeurs d’antan, trouvant son unique salut dans le mariage, la famille et une vie conforme à la tradition. Où les enfants, déchirés entre leur amour pour l’art de vivre de cette culture et leur haine pour son conservatisme, sont prisonniers des attentes de leurs parents.
Sous leurs dehors loufoques, certains personnages se révèlent pathétiques: la fille trentenaire toujours incapable de quitter le nid familial (Adèle Reinhardt, amusante en hystérique); la professionnelle (convaincante Maude Guérin) aux allures de poupoune, qui dégage autorité et réussite dans son boulot, mais qui se cherche désespérément un mari, quitte à fermer les yeux sur sa vraie nature…
Une communauté qu’on voit peu sur nos scènes. Le portrait de famille n’est pas toujours subtil, mais il est difficile de bouder son plaisir. D’autant que Mambo italiano occupe la traditionnelle case des Fêtes, souvent dévolue à une comédie facile à l’américaine (bien que ce soit moins vrai depuis quelques années). On ne peut que se réjouir que la Compagnie Duceppe ait offert ce créneau à un auteur québécois. Une tradition à maintenir?
Du 4 janvier au 3 février
Au Théâtre Jean-Duceppe
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