Dom Juan : L’éternel masculin
Épicurien de tous les instants, existentialiste avant l’heure, révolté et libre-penseur, le mythique Dom Juan s’incarne une fois de plus. Après avoir habité la scène du TNM cet automne, il s’amène à Québec sous les traits de DAVID BOUTIN, dans le Dom Juan de Molière mis en scène par MARTINE BEAULNE.
Nulle timidité, nul vertige chez le comédien devant ce libertin séculaire. L’abordant comme un simple personnage de théâtre, David Boutin, après son inquiétant Cracked de Trick or Treat l’an dernier, puise chez l’auteur français les motivations du séducteur, évitant de s’empêtrer dans les diverses images de Dom Juan présentées au cours des siècles. "Il y a plus de 3000 ouvrages où on parle de Dom Juan; bien sûr, j’y ai fouillé. Mais un mythe, ça ne se joue pas: l’important, c’est de raconter une histoire, ici celle de Molière, avec les choix qu’il a faits. Moi, je prends ce qui est là: les mots, les situations, le personnage, ses rapports avec les autres…"
La pièce Dom Juan, créée le 15 février 1665 et retirée de l’affiche 15 jours plus tard, est la plus déroutante des comédies de Molière. On y voit ce "grand seigneur méchant homme", comme le décrit son valet Sganarelle, fuir Elvire, qu’il vient pourtant d’épouser, pour courir vers d’autres conquêtes. L’auteur y mélange réflexions graves et drôleries, réalisme et surnaturel. Difficile d’entrer dans cet univers parfois étrange? "Ce mélange, qui pourrait être une faille dans la structure dramatique, devient une force, explique le comédien. Suffit d’accepter le voyage à travers tout ça, en trouvant ce qu’il y a de moderne et de pertinent dans le propos de la pièce."
Que retenir de ce personnage de Dom Juan, lancé par Molière comme un cri de révolte à la face de l’hypocrisie au XVIIe siècle? "Son trait le plus important, c’est celui du libre-penseur" avance David Boutin. "Dès la naissance, tu portes la mort en toi. Dom Juan, à partir du moment où il prend conscience de la fin de toute chose, se questionne sur la façon dont on peut vivre ce bout de vie qui nous est imparti. Il constate que les gens se sont créé des systèmes de pensée. Ils ont trouvé une sorte de vérité, des réponses, et ils se confortent là-dedans. Dom Juan, lui, cherche constamment à provoquer. "On me dit que je ne peux vivre comme je le fais: pourquoi pas?" interroge-t-il. Il veut semer le doute, susciter des interrogations. Parce qu’on est libre, entièrement libre, il faut être curieux, ne jamais rien prendre pour acquis, faire le plus d’expériences possible, pense-t-il. Son but n’est pas de faire du mal; il suit ses désirs, où qu’ils le mènent." Même la séduction, dont il est l’image même, est pour Dom Juan un moyen de choquer, en même temps que de goûter à la vie.
La fin de la pièce, qui entraîne la perte de ce personnage aussi lucide et sensuel que cynique et décadent, semble très morale: elle apparaît comme un châtiment. Pourtant, David Boutin y voit aussi la possibilité du triomphe de Dom Juan, qui semble presque choisir sa mort, en un défi ultime.
Existentialiste, Dom Juan? Incroyant, fustigeant l’hypocrisie – même s’il y tombe lui-même -, il se donne pour ligne de conduite ce que le comédien résume ainsi: "Puisque tout s’arrête avec la mort, vivons pleinement, et librement." On croirait entendre Camus qui, dans un monde sans dieu, souhaite vivre intensément chaque instant, en ayant à tout moment conscience de la mort prochaine. Mais là s’arrête la comparaison: dans ses élans, Dom Juan se soucie peu des autres. Et aux larmes de toutes les Elvires, il ne répond que par l’empire tout-puissant de ses désirs.
Les 10 et 11 janvier
À la salle Albert-Rousseau
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