Pierre-Michel Tremblay : Humour à la pige
Scène

Pierre-Michel Tremblay : Humour à la pige

Après Quelques humains, l’auteur PIERRE-MICHEL TREMBLAY a écrit Le Rire de la mer, une pièce qui tourne en dérision les angoisses et les mythes des  Occidentaux.

Il partage avec son presque homonyme une voix aux inflexions douces, une manière posée de s’exprimer. Mais Pierre-Michel Tremblay s’agite, lui, essentiellement sur le front humoristique. Entre ses collaborations à Un gars, une fille et ses folies quotidiennes pour Le Grand Blond avec un show sournois, l’auteur a trouvé le temps cette année de pondre une pièce et un téléroman pas comme les autres, Délirium, deux excroissances de la troupe dont il est l’auteur attitré, les Éternels Pigistes. Ça occupe, la pige…

Depuis 1996 et Le Jeu du pendu, c’est avec les pièces des Éternels Pigistes que Pierre-Michel Tremblay creuse un sillon qui lui ressemble. "Sinon, je serais complètement éparpillé, croit-il. Le sens de la continuité, c’est important pour moi et je le retrouve avec mon travail au théâtre. J’adore ce que je fais ailleurs. J’aime mettre mon écriture au service de gens dont j’admire le talent et avec qui j’ai une correspondance d’esprit. Mais quand je reviens au théâtre, il faut que ça me permette d’aller plus loin dans mon écriture; que, quand j’ai fini une pièce, je sente que je suis un peu meilleur comme auteur. Il faut que je trouve une façon de raconter des histoires qui m’étonnent."

Comme Quelques humains, leur jouissif show précédent, Le Rire de la mer rallie toute la joyeuse bande de Pigistes: Isabelle Vincent, Christian Bégin, Patrice Coquereau, Pier Paquette et Marie Charlebois, qui signe aussi la mise en scène. "C’est un grand bonheur pour moi de voir ces cinq personnes-là jouer ensemble, à cause de la chimie qu’elles dégagent", assure l’auteur.

La pièce, qui sera créée la semaine prochaine à La Licorne, suit les pérégrinations géographiques et mentales d’une sociologue atteinte d’un cancer incurable, qui décide de partir en voyage. Un périple au cours duquel elle écrit des histoires dont son amoureux décidera de faire une représentation, après sa mort. "Je me suis questionné sur le lien entre la souffrance et l’imaginaire, explique Tremblay. Si on était moins souffrants comme humanité, est-ce qu’on aurait moins d’imagination? C’était ce que j’avais envie d’explorer. Mais, en fin de parcours, je me suis rendu compte que la pièce parlait peut-être plus de comment faire pour continuer à vivre quand on perd des gens qu’on aime, du combat qu’on mène pour continuer à être heureux. Et c’est peut-être une façon d’être heureux pour moi aussi. Parce que quand j’écris, malgré bien des angoisses et des doutes, je suis heureux."

Ironique, jouant sur plusieurs niveaux, ponctuée des interventions comiques d’un choeur grec, la pièce dépeint une Pénélope contemporaine qui, loin d’attendre passivement, prend elle-même le large pour vivre sa propre Odyssée. Une manière de revisiter l’oeuvre d’Homère – inspirant décidément beaucoup ce tournant de millénaire – bien différente du show de Dominic Champagne, que Tremblay a vu après avoir eu l’idée du Rire de la mer… "Le personnage de Pénélope offre un filon intéressant, parce qu’elle ne fait rien. Donner le point de vue de personnages négligés peut créer des effets comiques. Et j’avais envie de faire une sorte de caricature des mythes de l’Occident."

En plus de réécrire la scène du retour d’Ulysse, l’auteur s’est amusé à frotter la jeune mythologie québécoise, et ses héros "proches du peuple", aux grandes icônes universelles… Pas de doute: Pierre-Michel Tremblay aime déboulonner les mythes intouchables. "Je me méfie beaucoup de la pensée unique, des consensus intellectuels qui se font dans une société, des icônes. C’est probablement mon réflexe d’auteur comique. Comme j’ai très peur du fanatisme et du consensus intellectuel, quand quelque chose fait l’unanimité parmi les gens qui forgent l’opinion, moi j’aime bien l’égratigner. Et c’est dans mes champs d’intérêt. J’aime suivre les courants de pensée, j’aime beaucoup la sociologie."

On retrouve dans Le Rire de la mer le ton propre aux Éternels Pigistes, cette dérision où "le drame côtoie l’humour", point de fusion entre l’univers de Tremblay et le désir des autres membres du collectif. "C’est sûr qu’avec les Pigistes, je vais fouiller dans les choses les plus intimes, les plus proches de moi. J’aime créer du comique à partir de sujets graves. Au théâtre, je peux m’attaquer à ce genre de sujets et les traiter de façon humoristique. C’est ce que je préfère."

Pierre-Michel Tremblay n’est pas venu à l’humour à cause de la hausse du cours de la bourse comique. Le rire a toujours fait partie de sa vie. Comme une défense qui permet de combattre la peur de la mort. Et le reste. "L’humour, c’est l’une des plus belles choses qu’on a pour supporter les horreurs du monde. Pour moi, c’est une sorte de survie. C’est vraiment une nécessité. Je pense que c’est très sain, sinon je ne serais pas fonctionnel. Je suis très sensible, et grâce à l’humour, je peux avoir un détachement, relativiser bien des choses. Autrement, je serais toujours en morceaux, je pense", lance-t-il en partant d’un grand éclat… de rire.

Du 9 janvier au 3 février
À La Licorne
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