Robert Lalonde : La vie d'artiste
Scène

Robert Lalonde : La vie d’artiste

Le TNM nous promet un spectacle baroque, festif, moderne et historique avec la création de Monsieur Bovary, de Robert Lalonde. Une pièce d’un auteur sur son mentor. Et le regard d’un artiste sur les siens.

Depuis qu’il a commencé à écrire des romans, au début des années 80, Robert Lalonde dialogue avec Gustave Flaubert! "C’est mon mentor, reconnaît le comédien et écrivain. Je le cite souvent à des amis ou à des collègues à propos de tout et de rien: l’art, la critique, la bêtise, l’amour… Un jour, pendant les répétitions d’une pièce, des acteurs m’ont lancé: "Si tu es si fin, écris donc quelque chose avec ton Flaubert!"

Robert Lalonde a pris cette boutade au pied de la lettre. Un an plus tard, il proposait Monsieur Bovary, une pièce de théâtre actuelle avec des personnages historiques qui sera créée au Théâtre du Nouveau Monde dès mardi prochain. Et pas n’importe quels personnages. Lalonde a imaginé la rencontre de grandes figures littéraires du 19e siècle autour de Flaubert, alors que ce dernier est à l’orée de la mort. Ainsi, George Sand, Guy de Maupassant et les frères Goncourt côtoient des personnages flaubertiens (Emma Bovary, Bouvard et Pécuchet) dans "le bazar extravagant d’un vieux théâtre au son d’une musique de guinguette".

Robert Lalonde n’a pas écrit une biographie de Flaubert. "J’ai utilisé les multiples facettes de sa figure imposante pour faire le portrait d’un artiste contradictoire et sans inhibitions. En parallèle, je montre la situation des artistes dans notre société. À l’époque, un artiste n’avait pas besoin de mettre des gants blancs pour dire ce qu’il pensait de l’oeuvre d’un autre. Les rapports entre Flaubert et ses contemporains étaient assez vitrioliques. Aujourd’hui, dans la logique du marketing et de l’industrie culturelle, les artistes n’osent plus dire ce qu’ils pensent vraiment. Ils ne veulent que plaire et séduire leur public. Passer à la télévision, pour un artiste, est devenu plus important que le discours sur son oeuvre. J’ai fait une espèce de plaidoyer contre le narcissisme des artistes d’aujourd’hui."

Le dramaturge a situé sa tragi-bouffonnerie dans un théâtre, bien qu’il semble que l’auteur de Salammbô détestait cet art. "J’ai découvert que Flaubert était un paradoxe vivant, dit le créateur de Monsieur Bovary. Il disait ne pas aimer le théâtre, mais il se cachait dans le fond des salles pour voir des mélodrames et pleurer. On le qualifiait d’ermite, on l’a enfermé dans une image d’écrivain cloîtré, mais c’était aussi un artiste engagé qui pouvait écrire 80 lettres dans une journée. Quand il se rendait à Paris, il avait un agenda aussi chargé qu’un ministre. Il était à la fois un hypersensible et une force de la nature, un solitaire et un homme de service. Il a encouragé plusieurs jeunes écrivains. En même temps, il était d’une franchise implacable quand il n’appréciait pas une oeuvre. Il ne se faisait pas seulement des amis."

Devine qui vient dîner?
Un grand artiste doit-il être également un grand homme ou une grande femme? Rimbaud le colérique misanthrope trafiquant d’armes, Céline l’antisémite, Brel l’homophobe, ou Montherlant le pédophile misogyne, nous prouvent le contraire. "Situons le débat là où il est: je ne crois pas que la sainteté et le génie aient droit aux mêmes indulgences, tranche Lalonde. Les Goncourt disaient: "Si vous invitez Flaubert à dîner, ça finira dans un bain de sang!"

D’ailleurs, l’expression "tempérament d’artiste" est très dix-neuvième. Ce siècle, avec des personnalités fortes comme Nietzsche, Baudelaire ou Victor Hugo, a connu son lot de poètes et de martyres. Des créateurs qui étaient autant des phares que des cibles pour leurs contemporains.

"Au théâtre, la notion de consensus est née avec l’industrie culturelle et la naissance du spectateur-consommateur, croit Robert Lalonde. C’est de plus en plus décourageant. Nos dirigeants veulent faire du métier d’artiste un métier comme un autre. Alors, si un artiste ne peut se permettre des écarts de conduite, qui le peut? Il y a des talents qui sont très inhibés par ce contexte social. Plusieurs abandonnent. Notre société de performance préfèrent les ambitieux qui ne dénoncent rien et se conforment à tout. Mais je vois déjà: on va encore me traiter de soixante-huitard!"

Le dramaturge a puisé à plusieurs sources pour nourrir Monsieur Bovary. Le procès de son plus célèbre roman, Madame Bovary, en 1856, par le ministère public de France pour "le caractère grossier, salace et immoral de l’ouvrage", l’abondante correspondance, les romans et les récits de Flaubert, ainsi que les oeuvres de Maupassant, Musset, Rimbaud, Mallarmé, Shakespeare. Monsieur Bovary est sans conteste l’oeuvre d’un érudit, mais sans la lourdeur ou le côté encyclopédique. "C’est un énorme matériau que j’ai dû réduire considérablement. Avec ma première version, le TNM avait une trilogie de huit heures! C’est maintenant devenu un spectacle de moins de trois heures avec entracte."

Gilles Renaud a l’hénaurme défi de rendre sur les planches la truculence et la monstruosité de ce génie littéraire. À ses côtés, Marie Tifo incarnera les deux muses, l’une réelle, l’autre fictive, de l’auteur: Emma Bovary et Louise Colet. Patricia Nolin sera George Sand; Gabriel Sabourin, Maupassant, le "neveu" ou fils spirituel de Flaubert. Six autres comédiens complètent la distribution que dirigera la directrice du TNM, Lorraine Pintal. Celle-ci signe sa dernière production avant de se lancer dans les festivités du 50e anniversaire du TNM qui seront annoncées en mars prochain. La metteure en scène s’est entourée d’une nouvelle équipe de concepteurs, dont Carl Fillion au décor, Marie-Chantale Vaillancourt aux costumes, et Luc Prairie à l’éclairage. Michel Smith signe la musique originale et la direction musicale.

Dès le 16 janvier
Au Théâtre du Nouveau Monde