Le Langue-à-langue des chiens de roche : Besoin d'amour
Scène

Le Langue-à-langue des chiens de roche : Besoin d’amour

On a beau aimer ou ne pas aimer le style et la langue de Daniel Danis, personne ne peut contester son caractère  unique.

On a beau aimer ou ne pas aimer le style et la langue de Daniel Danis, personne ne peut contester son caractère unique. Habile mélange de lyrisme et de cruauté, de tragique et de poétique, de terroir et de modernité, son théâtre fait bande à part au Québec. Et il est de plus en plus produit en Europe.

Daniel Danis, c’est un univers original et très intense. Peut-être pas accessible à tous, comme les mondes de Tremblay, de Dubé ou de Bouchard, mais, si on veut bien y adhérer, le dépaysement est assuré. Pour le confirmer, il faut vous rendre au Théâtre d’Aujourd’hui, où le dernier opus de ce dramaturge du Saguenay, Le Langue-à-langue des chiens de roche (pas le titre le plus génial, je vous l’accorde), vient de prendre l’affiche, dans une mise en scène de René Richard Cyr. Ce dernier avait dirigé Le Chant du Dire-Dire, de Danis, en 1998. À mon avis, il arrive avec Le Langue-à-langue… à un résultat nettement supérieur au précédent, grâce à une production rigoureuse et défendue par une solide distribution.

Le texte de Daniel Danis a de forts accents de tragédie grecque: à l’instar des membres de la famille des Atrides, la fatalité s’acharne sur les neuf personnages solitaires et écorchés du Langue-à-langue... Ceux-ci vivent assez misérablement sur une île imaginaire, quelque part au milieu du Saint-Laurent. On y croise Déesse, une Amérindienne qui a sombré dans l’alcool et la débauche; sa soeur Joëlle avec sa fille Djoukie; Léo et ses deux fils, Charles et Niki, qui s’occupent d’un chenil de 246 bêtes; Simon, un ancien Casque bleu traumatisé par les horreurs de la guerre; Murielle, une adolescente en mal d’amour; puis Coyote, un paumé toujours vêtu de fourrures qui organise des "partys rage", sorte de raves orgiaques et initiatiques.

Tout ce drôle de monde forme le microcosme d’une humanité décadente, coincée entre des falaises de roche et des coeurs de pierre. Poussés par leurs pulsions autodestructrices (la violence, le viol, la drogue, la haine, etc.), les habitants de l’île semblent avoir renoncé à l’espérance d’un monde meilleur. Or, au bout de leurs peurs et de leurs angoisses, les personnages trouveront des réponses à leurs appels "au secours d’amour".

"Mon écriture est ancrée dans ce mouvement fondamental de recréation et de destruction", explique l’auteur dans le programme. Elle est aussi un cri d’amour. Il faut s’aimer soi-même pour pouvoir aimer les autres. Et il faut avoir été aimé pour s’aimer soi-même… C’est cette vérité, évidente mais difficile à appliquer, que les pièces de Danis exposent. Et, comme bien des vérités, cette parole est dure mais essentielle à entendre.

Dans un admirable décor du peintre François Vincent, qui s’éloigne de tout réalisme, cette sombre fable aux allures de quête spirituelle est défendue par neuf excellents comédiens connus et débutants. Chez les premiers, on reconnaît la déroutante force de Dominique Quesnel, la grande maîtrise de Marie-France Lambert, l’autorité de Pierre Collin. Mais le plus surprenant reste Normand D’Amour, avec un rôle de composition, Coyote, qu’il livre avec brio.

Chez les plus jeunes, il faut souligner la sensibilité de Sébastien Rajotte, la candeur de Catherine Bonneau, et le charisme de Patrick Hivon, pour qui cette pièce est la première production professionnelle! La prestation du jeune comédien m’a rappelé les débuts sur scène de Roy Dupuis et de David LaHaye. C’est peu dire!

Jusqu’au 3 février
Au Théâtre d’Aujourd’hui