Les Règles du savoir-vivre / Music-hall : L'art du faux
Scène

Les Règles du savoir-vivre / Music-hall : L’art du faux

Je crée les personnages épuisés d’un monde fini, d’un monde qui se désagrège", disait Jean-Luc Lagarce. Un auteur-metteur en scène-directeur de troupe (mort à 38 ans de la maladie qui a fauché Koltès, Copi et tant d’autres) qui passe pour un dramaturge français important des dernières décennies.

"Je crée les personnages épuisés d’un monde fini, d’un monde qui se désagrège", disait Jean-Luc Lagarce, un auteur-metteur en scène-directeur de troupe (mort à 38 ans de la maladie ayant fauché Koltès, Copi et tant d’autres) qui passe pour un dramaturge français important des dernières décennies. Difficile d’en juger par les deux courtes pièces que présente l’Espace Go, un doublé qui s’apparente surtout à un exercice de style, inégalement inspiré et aux effets un peu redondants.

Bien que campées dans des milieux situés à des années-lumière l’un de l’autre, ces deux pièces témoignent d’un univers en décomposition où des personnages, qui ne semblent exister que par le verbe, s’agrippent à des codes, s’accrochent à des faux-semblants, afin de se détourner de l’essentiel ou de masquer leur vide. Toutes deux font l’inventaire de rituels dépourvus de leur sens. Qui pourrait bien être la vie.

Inspiré d’un manuel du 19e siècle, Les Règles du savoir-vivre dans la société moderne est l’énumération, souvent désopilante, de l’étiquette qui doit présider à chacun des grands rituels de l’existence, selon une distinguée conférencière (Andrée Lachapelle). De la naissance à la mort, en passant par les fiançailles, le mariage et les noces d’or et d’argent, aucun moment charnière n’échappe à cette arbitre des bonnes manières qui n’entend pas à plaisanter avec les convenances.

La vie est ainsi vue comme une "longue suite de choses à régler", où les sentiments sont des "futilités accessoires" à mater, et l’essence même de la vie est reléguée dans la marge. Même la mort y devient une situation "possible, envisageable", secondaire par rapport aux usages qui la codifient, et aux solutions de rechange qu’elle entraîne.

Même si l’on saisit vite ce procédé ironique, basé sur une idée unique, et que le résultat se révèle au total plus amusant que troublant, Les Règles du savoir-vivre… est un savoureux morceau, qui laisse peu à peu affleurer la solitude, la détresse et l’aliénation de cette dame très comme il faut. Malgré une finale théâtrale – et plutôt superflue -, Serge Denoncourt a donné une couleur quasi beckettienne à ce solo, où le personnage naît du noir pour vivre par la langue. Mordant dans les mots avec précision et fermeté, la grande dame qu’est Andrée Lachapelle s’en tire avec son élégance coutumière, rendant chaque nuance palpable.

Music-hall
Les choses se détériorent après l’entracte, alors qu’on discourt sur un autre type d’art de la représentation: un numéro de cabaret kitsch exécuté par un trio miteux se produisant devant des salles vides et de plus en plus minables.

Flanquée de deux boys accoutrés en ersatz d’Elvis – François Barbeau s’en est donné à coeur joie avec ses costumes extravagants -, la chanteuse (Annick Bergeron) ressasse les détails d’une carrière qui s’étiole et qui pourrait se résumer par "faisons semblant d’exister. Et jouons quand même".

Mince exercice cérébral, Music-hall tient tout entier dans la langue, avec ses phrases courtes, elliptiques, faisant souvent l’économie du verbe, et ses multiples réitérations et retours en arrière. Une langue qui finit par paraître affectée.

Les comédiens ne sont pas en cause: la talentueuse Annick Bergeron fait bien ce qu’elle peut, et les boys sont campés avec la dérision voulue par Henri Chassé et, surtout, par un David Savard maniéré et sarcastique.

Ce n’est pas la moindre ironie que ce texte mette en scène la futilité d’un acte artistique qui ne parvient pas à rejoindre son public. Voilà bien l’exemple d’une représentation qui tourne à vide et dont il ne reste que la forme…

Jusqu’au 3 février
À l’Espace Go