Le Mouton et la Baleine : Eau trouble
Ahmed Ghazali a donné un titre évoquant les fables de La Fontaine à sa première pièce, Le Mouton et la Baleine, actuellement à l’affiche du Quat’Sous. Mais il aurait pu tout aussi bien la nommer "La fin des illusions".
Ahmed Ghazali
a donné à sa première pièce, actuellement à l’affiche du Quat’Sous, un titre évoquant les fables de La Fontaine: Le Mouton et la Baleine. Mais il aurait pu tout aussi bien la nommer "La Fin des illusions". Car son point de vue sur les relations internationales est sans merci.
Racisme, intolérance, corruption, meurtre… cette histoire de clandestins africains découverts à bord d’un cargo russe amarré dans le détroit de Gibraltar est un condensé des cruautés et des injustices contemporaines. Gibraltar symbolisant le point névralgique où se rencontrent et se confrontent l’Europe et l’Afrique.
Après une tempête, des marins russes repêchent des passagers clandestins qui voulaient traverser en Espagne. La plupart sont morts. Quelques-uns ont survécu et sont faits prisonniers. Le capitaine du navire tente de rejoindre Tanger pour y livrer les corps aux autorités. Le Mouton et la Baleine met en scène la longue attente de l’équipage avant la poursuite du voyage.
"Le Nord et le Sud, c’est l’histoire de deux misères parallèles", écrit Ahmed Ghazali dans le programme de la pièce. "Au Sud, on s’entretue et au Nord, on se suicide. Là-bas on crève de faim et ici on n’a plus d’appétit. Nous n’avons aucun modèle valable de civilisation. Tout reste à faire." Par-delà le caractère radical de ce genre d’affirmation, on peut se questionner sur l’efficacité d’un théâtre à thèse qui prêche à un public tolérant et cultivé les vertus de la tolérance et de l’intégration culturelle.
À l’instar de l’ancien directeur, Pierre Bernard, "l’idée d’un monde meilleur" est au centre des aspirations artistiques de Wajdi Mouawad, le metteur en scène de cette production, à la barre du Quat’Sous depuis un an. Voilà une bien noble entreprise intellectuelle. Mais elle est vouée à l’échec si le directeur ne fait pas des choix de programmations plus judicieux. Et Le Mouton et la Baleine, malgré quelques beaux moments, est une mauvaise pièce.
Au mieux, cette pièce casse-cou, terriblement foisonnante et trop chargée pour une salle intime comme le Quat’Sous, aurait pu se contenter d’une lecture publique. Ghazali, un ingénieur marocain qui vit au Québec depuis quatre ans, ne maîtrise pas assez l’écriture dramatique, surtout dans les dialogues et les enchaînements de scènes. Les situations semblent toujours plaquées, artificielles, et le propos de l’auteur l’emporte sur la vérité des personnages. Impardonnable pour ce genre de huis-clos au bout de l’enfer.
Qui plus est, le spectacle souffre d’une distribution inégale. Pierre Curzi joue un capitaine russe, bouteille de vodka à la main, dont la nostalgie est plus caricaturale que touchante. Le couple central formé par un Arabe et une Française n’est aucunement crédible. Dany Michaud manque énormément de charisme et joue faux. Danièle Panneton a donné un ton maniéré et superficiel à un personnage qui est plus complexe. Dommage… Car Hassan (Michaud) et Hélène (Panneton) représentent la métaphore de cette création: l’espoir d’une véritable rencontre entre deux cultures; le rêve d’un monde plus tolérant. Ironiquement Paul Ahmarani, dans le rôle muet d’un survivant marocain, a plus de présence que ce couple gauche et bavard.
Si sa direction d’acteurs laisse perplexe (il faut dire que la pièce foisonne de personnages schématiques), Wajdi Mouawad a toutefois maintenu le cap de son navire dramatique grâce à une mise en scène rythmée et ingénieuse (le décor de Jean Bard reproduit habilement les ponts du cargo et les containers). C’est ainsi qu’on assiste à l’égorgement d’un bélier – lors d’un rituel musulman pendant la Fête du mouton – et à l’arrivée d’un hélicoptère sur la petite scène du Quat’Sous!!!
Quelques moments spectaculaires qui font oublier les faiblesses du texte.
Jusqu’au 17 février
Au Théâtre de Quat’Sous